Ultimi barbarorum ?


Site « Le Sujet dans la cité ». 25 novembre 2015
-----------------------------------------------
Le jeudi 19 novembre 2015, le portant de presse d’une gare affiche, à la une d’un périodique au titre éloquent « Valeurs actuelles », le visage du chef d’Etat syrien Bachar El Assad.
Traité il y a quelques semaines encore de bourreau de son peuple, de barbare, de massacreur, de tortionnaire, crédité à juste titre des exactions les plus effroyables et cible de la vindicte internationale, voilà qu’il apparaît, dans le costume-cravate de n’importe quel chef d’entreprise de la revue « Challenge » donnant des conseils avisés pour suivre l’exemple de sa réussite. Et il fait tomber, depuis l’Olympe de son cartouche de haut de page, la sentence d’un politologue de référence, adressée au même public auquel, quelques semaines plus tôt, on offrait en pâture les images de ses crimes de masse :

« Vous ne pouvez pas combattre la terreur, si vous continuez à soutenir le Qatar et l’Arabie saoudite qui arment les terroristes ».

Il faut se frotter les yeux pour croire à ce qu’on est en train de lire : une leçon de politique internationale anti-terroriste, benoîtement délivrée comme un avis éclairé, ou un message papal, par un parfait représentant de la terreur d’Etat.

En janvier 2015, le chef du gouvernement israélien, responsable de la guerre sans fin menée au peuple palestinien depuis 1948, et de la terreur qui lui est infligée journellement sur les territoires occupés, défilait à Paris pour protester contre les attentats du 7 janvier. Et l’on pourrait égrenner jusqu’à la nausée les chapelets de cette « lutte contre le terrorisme » qui, le mercredi 18 novembre, a lancé sept heures d’assaut « d’une violence inouïe », pour reprendre les titres qui s’affichent au même portant, contre un immeuble où trois des assaillants du 13 novembre avaient trouvé refuge, au cœur du 93.
La veille, le Président de la République française avait annoncé martialement son alliance avec le chef de l’Etat russe, ancien responsable des services secrets, du renseignement et de la terreur d’Etat. Celui-là même qui, pour « poursuivre les terroristes jusque dans les chiottes », selon son expression, a mis la Tchétchénie à feu et à sang, et placé à sa tête un chef de mafia à sa solde. Le même qui terrorise et extermine les défenseurs des droits sur son propre territoire.
À la une d’un autre organe de presse, s’affichent les portraits multiples des membres de diverses familles royales, vêtus de noir en signe de deuil, pour la France supposée républicaine. Parmi eux, la veuve de l’ancien Shah d’Iran, dont la criminelle police politique est passée, à partir des années quatre-vingt, aux ordres de la République islamique.

Le 25 novembre, un bas de page intérieure du journal « Le Monde » nous apprend que, dans l’immeuble pris d’assaut par les brigades d’intervention policières, les occupants, migrants sans ressource et totalement étrangers aux activités des tueurs du 13 novembre, ont été non seulement privés de leur hébergement et, pour plusieurs, blessés, mais placés en centre de rétention et accablés d’une obligation de quitter le territoire français.

« Ultimi barbarorum » est le titre de la protestation que Spinoza aurait prévu, en 1672, d’afficher contre l’assassinat politique perpétré par Guillaume d’Orange afin d’assurer sa tyrannie sur les Provinces unies. Donnant par là un usage du mot « barbare » qui peut parfaitement s’appliquer aux donneurs de leçons « anti-terroristes ».