Sur le terrain des luttes pour la santé, en Grèce



Pour les Rencontres de Sétrogran 2017
Sur le terrain
25 – 27 août 2017
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Écrivant en 1865 l’Introduction à la médecine expérimentale, Claude Bernard employait le terme de « solidarité organique » pour définir le fonctionnement physiologique du corps humain sur le mode de l’interdépendance entre les organes, dont la désolidarisation est l’annonce même de la mort. Et le texte lui-même y introduisait une analogie politique.
C’est cette analogie que nous avons tenté d’exploiter par un travail associant philosophie de terrain et photographie documentaire, mené à partir de Thessalonique en juillet-août 2017.
La santé ne nous y est pas apparue comme un simple élément du contrôle social (qu’elle est aussi, dans l’analyse qu’en donne Michel Foucault), mais comme un facteur d’énergie et de vitalité porté par la solidarité politique et la conviction d’une force commune.

Et de ce point de vue, l’étroite corrélation entre santé physique, santé mentale et santé politique doit être explorée dans les modalités de leur interaction : le découragement, la fatigue, la lassitude, produisent au niveau micropolitique les effets organiques d’une macropolitique dévastatrice. Ils sont des modes de désolidarisation du corps social, là où, au contraire, l’énergie politique est porteuse de ce que Nietzsche appelait « la grande Santé ».
À cet égard, il nous est bien apparu, par les entretiens menés et les rencontres, à VIOME comme à Skouries, comme avec les équipes des dispensaires solidaires, qu’une puissante interaction fait de l’énergie collective et du sens de la responsabilité commune, dans ses modes clairement autogestionnaires, une condition fondamentale de la santé au sens le plus organique du terme. Soigner dans des dispensaires, ce n’est pas fournir du soin, mais c’est envisager la dimension thérapeutique de l’énergie collective. Et sur ce point, la pensée politique de Spinoza, portée par l’idée d’une puissance vitale co-active, et de ses modes de revendication, nous est apparue comme adéquate aux nécessités contemporaines auxquelles nous sommes affrontés.

C’est aussi dans une solidarité internationale que peuvent se penser les formes de lutte contre des modes de gestion globalisants, et c’est pourquoi la question des migrations tient une place centrale dans une telle configuration de l’énergie politique. Un texte du philosophe Étienne Balibar, paru en 2002, s’intitulait « Ce que nous devons aux sans-papiers ». Ce « nous » dit clairement la proximité éprouvée à l’égard de ceux dont la nationalité est supposée « étrangère », là où la distance devient abyssale à l’égard d’une direction politique supposée « représentative ». Et cette question de la représentation, dans toutes les modalités de ses perversions, est devenue un enjeu central non seulement des politiques de santé, mais de la santé politique des populations tentant de vivre actuellement, sédentaires ou migrantes, dans un espace européen clairement dévoyé.

1. Figures de l’archipel

Et sur ce point, l’histoire de la Grèce pose aussi des jalons pour aider à comprendre comment la mémoire politique, dans une forme d’inconscient collectif, travaille avec les réactivations de la violence qui produit, en réaction, des formes spécifiques de solidarité sur ce territoire. C’est en y allant, en parlant, en écoutant mes interlocuteurs, que j’ai saisi une donne géographique : celle d’un territoire qui n’est pas seulement ouvert sur la mer, mais construit comme un archipel. Les îles grecques ne sont pas des annexes de la Grèce, mais son mode de constitution et les lieux de sa configuration politique qui subvertit les usages du centre et de la périphérie. Michel Foucault écrivait, dans un entretien avec Yves Lacoste et la revue Hérodote en 1976 :

Il n’y a qu’une notion qui soit véritablement géographique, c’est celle d’archipel. Je ne l’ai utilisée qu’une fois, pour désigner, et à cause de Soljenitsyne, l’archipel carcéral, cette dispersion et en même temps le recouvrement universel d’une société par un type de système punitif.

Pourquoi est-ce la « seule notion véritablement géographique » ? Parce que c’est elle qui permet d’écrire un lien entre des terres que la présence de la mer semble avoir dissociées. Les noms des îles de la Grèce, évocateurs de ses traditions littéraires et intellectuelles tout autant que de ses dieux et de ses héros, ne sont pas seulement devenus des objets de la projection touristique. Ils sont aussi les noms de décisions politiques : noms de lieux de déportation et d’enfermement, comme ils sont devenus, dans les politiques européennes contemporaines, des espaces de réalisation tout autant du désir d’accueil que de la violence et de l’absurdité des politiques migratoires. Lesbos, d’où vient la poésie de Sapho, est actuellement un lieu emblématique de cette violence. Makronisos, face au temple de Poseidon sur le cap Sounion, était le lieu de torture privilégié de la dictature de Métaxas et Georges II (de 1936 à 1941), puis de l’Occupation allemande (de 1941 à 1944), avant de devenir celui de la junte des colonels de 1967 à 1974. Ikaria, dont la mythologie dit qu’elle est née de la chute d’Icare, était pendant la guerre civile grecque, de 1946 à 1949, un lieu de déportation des communistes. Devenue par cela même un espace de solidarité de la population locale, et le point d’ancrage d’une transmission des traditions de gauche. L’un de nos interlocuteurs, Alexis Benos, médecin de santé publique, nous en fait le récit autobiographique, comme origine de son propre désir militant, dans l’expérience fondatrice d’un rapport de classe :

Mon père avait son cabinet de médecine, avec une dame comme secrétaire qui était de l’île d’Icaria. Elle habitait chez nous comme bonne. Là, on a reçu une très importante influence, parce que c’est elle qui était en charge des enfants. On est allés maintes fois dans son village sur cette île. Et cette île est l’île communiste de la Grèce. On reste encore avec toute cette famille qui est restée notre famille : on est en famille. Il y avait une tension entre ma mère et cette dame, parce que ma mère voyait l’influence. Elle disait : « C’est moi la mère, ici ! ».

Cette configuration de l’archipel produit aussi une subversion des liens de solidarité familiale en même temps qu’une reconfiguration des consciences.
Et la grande île de Crète, inscrite depuis les guerres balkaniques de 1912-1913 dans l’appartenance grecque, seront en fait le point d’origine, en 2011, d’un vaste mouvement de solidarité envers des migrants grévistes de la faim pris en charge par les médecins militants de Thessalonique. L’une d’entre eux, Christina Kydona, nous en fait le récit :

En 2011 (janvier et février), en Crète, un groupe de migrants a décidé d’organiser une grande grève de la faim. Ils étaient essentiellement originaire d’Afrique du Nord : Égypte, Maroc, Algérie, Tunisie. C’était avant le printemps arabe. Ils étaient travailleurs agricoles en Crète. Ils ont formé un groupe avec des responsables politiques crétois. On en a discuté pendant deux mois, et on a dit OK pour les aider. Ils ont voyagé jusqu’à Thessalonique. Il y a eu une tentative pour les arrêter dans le bateau ; mais on avait une grande mobilisation ici à l’Université, et les cinquante sont venus ici. On les a mis ensemble dans le grand bâtiment des travailleurs de Thessalonique, et on les y a laissés en sécurité. On a formé un groupe médical pour les soutenir pendant la grève de la faim. Non seulement en Grèce, mais en Europe, il n’y avait pas d’autre expérience depuis le passé. Même avec les prisonniers politiques, il n’y avait pas d’expérience de grève de la faim de ce type. Dans les autres expériences, les grévistes appartenaient à l’État parce qu’ils étaient en prison. On n’avait pas d’expérience d’une grève de la faim massive de personnes libres. On avait donc à penser comment gagner cette grève de la faim. Leur demande était d’une part qu’il y ait des droits au travail égaux pour les Grecs et pour les étrangers ; et d’autre part de légaliser les immigrants.
On a eu un gros conflit avec le système politique, sauf la gauche. Mais le parti communiste n’a pas pris position. C’était très difficile, ça a duré quarante-cinq jours. Ils étaient cinquante au premier étage du bâtiment. Il y avait un problème à la fois de sécurité et d’hygiène. On leur donnait du thé et du sucre. Nous, comme équipe médicale, on était très engagés pour quinze d’entre nous (médecins et infirmiers). On était responsables pour donner des nouvelles et faire l’interface. Il fallait signer, donner des interviews à la presse, assurer le public que c’était une vraie grève et que les gens étaient en danger. Certains étaient hospitalisés pendant deux-trois jours, puis repartaient. Certains avaient des complications graves, et il fallait être là tout le temps.
La grève s’est arrêtée parce qu’ils ont gagné : ils ont eu des papiers, la permission de travailler et d’avoir des documents de travail, de voyager en Grèce pour rendre visite à leurs familles. Pas tous, mais ils étaient très heureux, et on a célébré cela. Plus tard, on a eu plus de travail, pour les syndromes de réalimentation et pour les complications importantes. Mais tout le système politique avait fait une grande bataille pour mettre fin à cela. Face à lui, le mouvement était très uni, même si c’était à partir de points de vue différents : trotskystes, anarchistes, groupes de gauche. On a créé quelque chose et ça a marché : après, on était très forts et très unis.

La question de la santé ne concerne donc pas seulement les corps, mais la possibilité de créer du commun aussi bien que du conflit entre les sujets. Et l’archipel en est une des figures. Comme il devient aussi une figure de l’internationalisation des luttes.

2. Figures des perversions du politique

J’ai donc mené, pendant cet été 2017 une cinquantaine d’entretiens, de longueur variable (entre un quart d’heure et deux heures), mais d’intensité constante, avec des personnes dont l’âge variait de 14 à 74 ans, de statuts sociaux différents et d’origines différentes.
Rien ne s’est passé comme je l’avais prévu : le dispensaire solidaire de Thessalonique, où j’avais l’intention de faire ce terrain, a fermé le lendemain de notre arrivée. La frontière Est avec la Turquie, où nous avions l’intention d’aller, s’est avérée un trajet trop long pour le temps dont nous disposions. Les camps de migrants, où j’avais l’intention de mener des entretiens (comme on l’avait fait en Pologne en 2008), se sont avérés d’accès difficile par la méfiance que suscitait souvent notre projet.

En revanche, des pistes que nous n’avions pas envisagées se sont ouvertes :
- l’entreprise VIOME, reprise par les travailleurs dans une perspective autogestionnaire avec la recherche des soutiens internationaux
- la mine d’or de Skouries, rachetée par un société canadienne avec les luttes pour exiger sa fermeture pour cause de pollution massive.
Des luttes pour ne pas fermer, des luttes au contraire pour fermer.

Mais le contexte dans lequel nous arrivions donnait un sens particulier à ce travail. L’année 2015 a en effet été, pour l’ensemble de la gauche radicale grecque et des mouvements solidaires, une véritable conflagration. En janvier, le parti qui la représentait (Syriza : Coalition de la Gauche Radicale) a remporté la victoire aux élections législatives anticipées, frôlant la majorité absolue, sur un programme anti-austérité, contestant les exigences de la troïka (Commission Économique Européenne, Banque Centrale Européenne, Fonds Monétaire International) qui menaient le pays à sa ruine sociale. Et celui qui était, depuis 2012, le président du mouvement, devenait de ce fait Premier ministre, provoquan tune véritable lisse populaire.
Six mois plus tard, en juin 2015, il organisait un referendum pour soutenir sa position face à la troïka autour de la question de la dette grecque, refusant le plan d’austérité, et remportait 60% des voix.
Et en juillet, à l’encontre de ce double soutien massif de son propre électorat, il mettait en place les mesures d’austérité préconisées par la troïka, dans l’actualisation d’un nouveau « memorandum » de la dette publique.

Cette décision n’a pas eu seulement pour effet de livrer le pays à la prédation des banques européennes. Elle a eu aussi l’effet, beaucoup plus pervers, de plonger l’électorat de gauche dans une redoutable injonction paradoxale. Car, dans le temps même où se mettait en place cette trahison de la représentativité (réforme du régime des retraites, de la législation du travail, etc.), le gouvernement prenait aussi à la marge quelques mesures sociales, parmi lesquelles, sur le plan de la santé, l’accessibilité aux soins pour tous.
Et les militants de VIOME ou de Skouries savaient que ce gouvernement, qui avait cessé de soutenir leurs revendications, était malgré tout le plus à même de tenir encore un tant soit peu à distance leurs ennemis.
La désorientation politique s’accompagnait donc, dans bien des cas, et précisément chez les plus engagés, c'est-à-dire aussi ceux qui risquaient le plus, de la nécessité de temporiser, à l’encontre même de leur propre culture. Les ouvriers de chez VIOME savaient que, si Syriza quittait le pouvoir, l’usine serait définitivement fermée et le terrain vendu. Et les protestataires contre l’ouverture de la mine d’or de Skouries savaient que leur campement sauvage serait rasé et leurs militants exposés à la violence des MAT (police anti-émeutes).

3. Autour des mines

On partira de l’échange que j’ai eu, dans ce campement près du terrain de la mine gardé par la police, avec Dimitris Bizirianis, ancien mineur de soixante-quatorze ans. L’entretien, en grec, a pu se faire grâce à Iro Siafliaki, cinéaste militante bilingue.

Pourquoi as-tu décidé de militer contre l’ouverture de la mine de Skouries, alors que tu étais en retraite ?
Le comité « Panaggia » a informé les gens et invité l’université de Thessalonique pour expliquer la situation. Et j’ai très vite compris que c’était plus grave qu’avant, grâce aux explications de ces invités. Beaucoup de monde a été convaincu que c’était dangereux. Mais ensuite, avec l’argent, ils ont changé de camp. Pendant des années il y a eu une campagne d’information. Ils ont commencé par lire le projet de la société Eldorado.

Quelles ont été les actions de la société minière, pour convaincre les gens en sens inverse ?
Il y a une omerta. Les gens qui travaillent ont peur et ne parlent plus. Ils sont allés jusqu’à déclarer : « L’argent et le travail d’abord, la santé ensuite ». Comme si le salaire pouvait être plus important que la santé ! Les gens ne parlent pas de la manière dont ils ont été convaincus.

Quels sont les risques ?
Ce qui se passe maintenant, c’est plus dangereux qu’à l’époque de la grève de 77. Il y a treize villages dans la région qu’Eldorado a louée pour cent ans (concession minière). Et il y a vingt mille tonnes de poussière par jour.
Il y a une fosse où on met les déchets toxiques, qui est un creux naturel entre deux montagnes « Karapas », et ils comptent mettre beaucoup de toxiques, parce que ça ne se voit pas facilement. Mais je pense qu’ils vont aussi amener des déchets d’ailleurs. J’ai entendu dire qu’ils vont apporter des déchets d’ailleurs.
Le problème le plus grave est la proximité avec le village. La distance entre la fosse et le village, à vol d’oiseau, est de moins d’un kilomètre. Et les déchets toxiques ne suivent pas les détours du chemin !

Est-il possible, selon toi, de gagner contre la société minière ?
Je ne pense pas qu’on puisse gagner cette bataille, parce que toutes les parties ne sont pas égales. Je n’y crois plus. Presque tout le monde est maintenant pour les mines. Même Syriza, qui avait promis de fermer les mines, donne maintenant des autorisations.
Mais on va continuer à lutter : on ne peut que continuer la lutte. Je ne crois pas qu’on puisse gagner quelque chose par cette lutte, mais qui ne voudrait pas qu’on gagne ?
Je suis déçu, mais je ne veux pas abandonner, ça ne m’est pas possible. Un jour, il est possible que même les travailleurs des mines vont venir avec nous. Mais ce sera trop tard.
Les policiers ici se sont directement retournés contre nous. Nous sommes suivis à tout moment, tous ceux qui montent ici sont suivis. Ils savent très bien ce qu’on est en train de faire. Hier, il y avait une voiture qui venait toutes les heures.

Ce qui détermine ce mineur, et bien d’autres habitants du village de Megali Panagia proche de la mine de Skouries, à refuser l’ouverture de la mine, c’est l’intervention d’universitaires de Thessalonique : médecins et chercheurs (et, parmi eux, ceux dont j’ai cités au début de ce texte) sont venus s’associer aux militants pour expliciter les raisons rationnelles de ce refus, et soutenir le combat qui le porte. Mais Dimitris, parfaitement déterminé dans son combat, dit pourtant : Je n’y crois plus. Et cela, c’est bel et bien l’effet 2015 de Syriza. Il dit C’est plus dangereux qu’à l’époque de la grève de 77. Il faut donc revenir sur cette grève, dont Dimitris fait le récit :

Comment s’est passée cette grève de 1977 ?
En 1977, la grève a duré un an. Il y avait des procès : treize personnes en tout, dont moi. On envoyait contre nous les MAT (police anti-émeute, équivalent des CRS). Le village lui-même a été épargné par la mairie, qui a empêché les MAT d’entrer dans le village. Tandis que dans d’autres villages vivant par les mines, (les choses se sont passées autrement) : celui-ci est le seul où la police n’est pas entrée.
Au début, on était 81% pour la grève et 19% contre. Les 19% ont continué à travailler. Ils venaient du village de Stratoni pour essayer de casser la grève.
Tout le monde était sur le même syndicat (Sainte Barbara, patronne des mines et des explosions – c’est aussi le nom d’un village). C’était le seul syndicat qui réunissait le village autour de moi ici. Mais après la grève, les non-grévistes ont créé un autre syndicat. Il y avait encore cinq cents mineurs pour l’ensemble des villages.

Quel était le motif de la grève ?
Le premier motif de la grève était l’augmentation des salaires : on demandait douze drachmes de plus (1 € = 340 drachmes).
Le second motif de la grève était que notre travail soit considéré comme travail pénible. C’est en effet un métier à gros risque, où il y a beaucoup d’accidents :
- On suivait les veines de la mine. C’est long, et au fur et à mesure, on orientait le tunnel. Et il y avait souvent des accidents par les explosions.
- On utilisait les anciens tunnels qui n’étaient plus valables pour mettre les déchets toxiques. On mettait un peu de ciment, mais ce n’était pas suffisant.
- Depuis l’époque où j’ai commencé mon travail, le problème principal était la poussière. Elle provoquait la silicose par les différents types de poussières. On mettait donc de l’eau, et ça provoquait d’autres problèmes, parce qu’on avait de l’eau jusqu’aux genoux. Même si on avait moins de maladies respiratoires.
- On début, on mettait des tonneaux pour jeter l’eau contre la poussière. Ensuite, on avait de l’eau qui venait de la ville, mais c’était glacé et ça provoquait des rhumatismes, parce qu’on devait enlever les bottes pour enlever l’eau qui rentrait dans le plastique.
À Amphissa, il y avait des métaux plus légers (aluminium), donc c’était moins dur qu’ici : quand les métaux sont lourds, il y a plus de poussière. Il y avait une aide soignante sur place. Quand il y avait un accident grave, on appelait un médecin. Mais il n’y avait pas de médecine préventive.

Quelques jours après, la visite du Beau musée archéologique de Thessalonique nous conduit à sa section la plus célèbre et la plus visitée : « L’or des macédoniens ». Là, une carte de la Grèce en montre les emplacements : la Chalcidique, où se trouve Skouries, y est en bonne place. Et la réputation du musée s’est faite sur la qualité artistique des objets d’orfèvrerie exposés dans sa scénographie. Le Guide du Routard, bible du touriste dont la devise est : Liberté et indépendance d’esprit, découverte et partage sincérité, tolérance et respect des autres, en fait l’apologie vibrante :

Le clou de la visite, c’est toute la partie consacrée à « l’or des Macédoniens », avec les somptueuses découvertes issues de nombreuses nécropoles des environs de Thessalonique, et en particulier le magnifique cratère de Derveni.

Toutefois, dans cette section même, un texte attire notre attention. Il est de Diodore de Sicile, tiré du livre III de son ouvrage La Bibliothèque historique, écrit au 1er siècle av JC. Et il résonne étrangement avec le récit de Dimitris :

Le roi d'Égypte envoie quelquefois aux mines avec toute leur famille ceux qui ont été convaincus de crimes, aussi bien que les prisonniers de guerre, ceux qui ont encouru son indignation, ou qui succombent aux accusations vraies ou fausses, en un mot tous ceux qui sont condamnés aux prisons. Par ce moyen il tire de grands revenus de leur châtiment.

Ces malheureux, qui sont en grand nombre, sont tous enchaînés par les pieds et attachés au travail sans relâche et sans qu'ils puissent jamais s'échapper. Car ils sont gardés par des soldats étrangers et qui parlent d'autres langues que la leur de sorte qu'il leur est impossible de les corrompre par des paroles et par des caresses. Quand la terre qui contient l'or se trouve trop dure, on l'amollit d'abord avec le feu après quoi ils la rompent à grands coups de pic ou d'autres instruments de fer. Ils ont à leur tête un entrepreneur qui connaît les veines de la mine et qui les conduit. Les plus forts d'entre les travailleurs fendent la pierre à grands coups de marteau, cet ouvrage ne demandant que la force des bras sans art et sans adresse Mais comme pour suivre les veines qu'on a découvertes, il faut souvent se détourner et qu'ainsi les allées qu'on creuse dans ces souterrains sont fort tortueuses, les ouvriers, qui sans cela ne verraient pas clair portent des lampes attachées à leur front. Changeant de posture autant de fois que le requiert la nature du lieu, ils font tomber à leurs pieds les morceaux de pierre qu'ils ont détachés. Ils travaillent ainsi jour et nuit forcés par les cris et par les coups de leurs gardes.

- De jeunes enfants entrent dans les ouvertures que les coins ont faites dans le roc et en tirent les petits morceaux de pierre qui s'y trouvent et qu'ils portent ensuite à l'entrée de la mine.
- Les hommes âgés d'environ trente ans prennent une certaine quantité de ces pierres qu'ils pilent dans des mortiers avec des pilons de fer jusqu'à ce qu'ils les aient réduites à la grosseur d'un grain de millet.
- Les femmes et les vieillards reçoivent ces pierres mises en grain et les jettent sous des meules qui sont rangées par ordre. Se mettant ensuite deux ou trois à chaque meule, ils les broient jusqu'à ce qu'ils aient réduit en une poussière aussi fine que de la farine la mesure qui leur en a été donnée.

Il n'y a personne qui n'ait compassion de l'extrême misère de ces forçats qui ne peuvent prendre aucun soin de leur corps et qui n'ont pas même de quoi couvrir leur nudité. Car on n'y fait grâce ni aux vieillards, ni aux femmes, ni aux malades, ni aux estropiés. Mais on les contraint également de travailler de toutes leurs forces jusqu'à ce que n'en pouvant plus ils meurent de fatigue. C'est pourquoi ces infortunés n'ont d'espérance que dans la mort et leur situation présente leur fait craindre une longue vie.

4. La santé politique à VIOME

Depuis 2013, ils produisent et commercialisent des produits de nettoyage écologique dans l'usine occupée, Ils ont travaillé dans des conditions d'égalité les uns par rapport aux autres, prenant les décisions collectivement grâce à leur assemblée. Ce faisant, ils ont reçu une grande vague de solidarité en la Grèce mais aussi de l'étranger, convertissant leur lutte en une lutte emblématique en temps de crise.
Les anciens propriétaires de l'usine - la famille Fillipou - n'ont jamais cessé les tentatives de nuire au processus, par des obstacles légaux à chacune des étapes de leur chemin. Cela fait quatre ans (en 2012) qu'ils ont abandonné l'usine, s'appropriant tous les bénéfices et laissant derrière eux une dette de millions d'euros qui s'abat maintenant sur les travailleurs, maintenant leur familles dans la pauvreté et la misère. Aujourd'hui ils refont surface, conspirant avec les syndics et le système judiciaire afin de liquider l'entreprise.

Les anciens propriétaires ont été condamnés à 123 mois de prison en première instance pour les millions d'euros de dettes pour les travailleurs, mais la cour d'appel a réduit cette peine à 43 mois de sursis, et annulé les compensations pour les travailleurs. Si le tribunal leur donnait raison, les intérêts financiers et immobiliers pourraient s'immiscer dans l'usine de VIOME.?? Les travailleurs de VIOME et le mouvement de solidarité national et international sont décidés à résister à la probable vente.

C’est le lendemain de notre arrivée à Thessalonique que j’entends pour la première fois le nom de l’entreprise autogérée VIOME, dans une manif qui est en train de s’organiser contre la venue du luxembourgeois Jean-Claude Juncker, technocrate catholique devenu successivement gouverneur de la Banque Mondiale, du FMI et de Banque Européenne, et à ce titre aux premiers postes des politiques de memorandum infligées à la Grèce par la troïka. C’est dans ce contexte qu’il vient d’être nommé … Docteur Honoris Causa de l’université de Thessalonique.
On apprend plus tard qu’une fête a lieu pour soutenir les ouvriers de VIOME, qui ont besoin de couvrir les frais de leur voyage programmé en Argentine, pour une conférence internationale des mouvements d’autogestion. C’est à cette fête qu’on prend contact avec la jeune comptable (et seule employée femme) de l’entreprise, Fotini, qui nous donne rendez-vous à l’usine le lundi suivant.
Dans le bus n°2 qui nous emmène à Viome, je tente de déchiffrer le livre de recettes collectives donné à la librairie « Cités ingouvernables » la veille. Un gars à côté de moi (volumineux et sentant le tabac) tente d’engager la conversation autour des recettes. Je lui dis à quel arrêt nous devons descendre pour aller à Viome. Et à partir de là, la conversation se détourne de notre dialogue, et commencent dans le bus des échanges animés. Ils s’engagent entre cinq personnes autour d’un double objet :
- 1. savoir quel est le meilleur arrêt pour arriver à l’usine (au milieu d’une zone no man’s land, juste avant l’arrêt IKEA)
- 2. pour discuter de Viome. Échanges très vifs entre mon voisin d’une quarantaine d’années et un monsieur plus âgé, avec une casquette et une canne, sur « l’anarchie ». Le monsieur est d’origine bulgare. Il dit qu’il a vécu la censure de la dictature « communiste » (qu’il semble identifier à l’anarchie), tandis que mon voisin défend l’idée que c’est bien, ce qu’ils font à VIOME, et qu’il est content de nous aider à y aller. Notre arrêt arrive, et c’est une dame qui finit par dire que notre arrêt arrive, et les engueule de ne pas s’en préoccuper, tandis qu’une autre se tourne vers nous pour nous faire signe de descendre à Naumègeia. Tout le monde du reste est en train de nous le signaler, et on descend.
Fotini nous accueille à l’entrée. Elle parle quelques mots de français, mais pas anglais. Elle nous emmène à « l’endroit où on se retrouve tous les matins et prend les décisions ». Il y a là deux hommes qui travaillent à l’emballage des savons. Puis un deuxième endroit, où il y a quatre hommes devant des ordinateurs, dans un espace réservé au sein de la grande pièce d’entrepôt, sur fond de musique prise à la radio. On reste une heure à attendre dans l’immense entrepôt où les produits sont répartis. De grandes affiches et des banderoles partout, accrochées ou suspendues :
- « Kato ta cheria apo tèn BIOME » (= « Bas les pattes devant VIOME »)
- Sur des Rencontres d’Europe Centrale de l’Économie des Travailleurs : « Tè Euromesogiakèsunnantèsè : O oikonomia ton Ergazomenon ». Commentaire de Fotini : en Europe, on a eu une rencontre euro-méditerrainéenne des organisations des six usines occupées en Europe (Italie – à Rome -, France – les Fralibs à Marseille - , Bosnie, Grèce, Turquie, Croatie). On a donc eu des demandes du Royaume-Uni.
- En espagnol « La Mitad de nuestro corazon se encuentra en Buenos Aires. Viome en solidaridad con Bauer » (= « La moitié de notre cœur se trouve à Buenos-Aires. VIOME en solidarité avec Bauer ».
- « VIOME n’est pas à vendre, il appartient aux travailleurs ».
- « La solidarité est notre force »
- « 1, 2, 3, beaucoup de VIOME »
- Invitation à venir soutenir devant le juge.
- Coopérative.

À12h20, autour d’une table-banque sous un auvent table, il y a neuf personnes, et nous sommes invités à venir piquer à la fourchette dans leurs rations : Makis (ouvrier), Nikos (chimiste), Tassos, Dimitris, Zorgos, Spiros (informaticien, relations publiques), Philippe, Fotini (comptabilité), Alekos. Sept autres ne travaillent pas aujourd’hui (dont trois sont en congé) : les membres de VIOME sont actuellement seize.

C’est Spiros SJOURAS, celui qui parle le mieux anglais, qui reste nous parler après le déjeuner :

Trois membres sont actuellement en congé. Certains ne travaillent pas aujourd’hui, certains ont un autre travail à faire. Certains collègues travaillent le soir pour garder l’endroit : il y a quelqu'un ici toutes les nuits. Tous les gens qui travaillent ici sont membres de la coopérative. Des gens de Belgique nous soutiennent, et il y a un magasin à Athènes. Trois nouveaux membres nous ont rejoints.
En 2006, la compagnie travaillait avec une compagnie arabe : c’était la compagnie de la fille (du patron ?). Il était question de prévoir de produire avec l’autre compagnie, et ça créait une possibilité pour VIOME.
Quand l’entreprise a fermé, vingt-six membres sont restés. Certains ont quitté le groupe pour créer une coopérative, certains n’étaient pas d’accord, et ils ont dû quitter. La plupart étaient des gens ( ?). En général, on n’attend pas. Ceux qui ont quitté avaient des relations avec le manager de la compagnie.

Sur quels points avez-vous gagné ?
On s’est débrouillés pour que ce qu’on a et qu’on gagne pour nos familles soit issu de la solidarité, et non pas d’une charité, pour soutenir le mouvement. Cette question de la solidarité est essentielle.

Quels sont les problèmes ?
C’est la situation de l’usine. Officiellement, le terrain appartient à la Compagnie. VIOME a quitté cette compagnie. L’usine constitue un trou dans le terrain ; mais la banque considère l’usine comme un terrain. Ils veulent séparer les deux, alors que l’usine fonctionne. L’autre problème est l’accès illégal à l’usine. La coopérative a le droit de travailler. Il y a eu des discussions depuis le début, avec le gouvernement. Le gouvernement a promis, lors des élections, de trouver des solutions pacifiques pour reconnaître une manière légale de travailler. Les patrons tentent un hold’up sur ce terrain, avec beaucoup d’argent. Et nous sommes responsables de la sécurité.
Pour les patrons, il y a un risque de prison. Mais comme il y a beaucoup d’argent là-dessous, il faut trouver une solution, car il y a beaucoup de corruption. Les patrons ne paient pas leurs taxes. Il y a eu nationalisation, mais les maires depuis le début ne paient pas les taxes. Donc, ils ne peuvent pas admettre qu’on travaille dans ce terrain.

Qu’attendez-vous d’un soutien international ?
Que les persécutions contre nous cessent, et que l’usine ne soit pas détruite. C’est un soutien politique des groupes radicaux. Il s’agit de créer un mouvement de solidarité avec des comités locaux, car il s’agit aussi d’unité des travailleurs. C’est très important d’avoir une campagne pour les membres. Et que ce soit de la solidarité, non de la charité. La charité, si c’est pour rien, ça crée des problèmes. C’est pourquoi on attend plus des gens de France que des gens d’Allemagne. La solidarité, ça vient du dialogue, d’un soutien. La solidarité permet de soutenir aussi sa famille. Et de chercher à faire de bons produits organiques. On veut produire de façon à la fois accessible (à bas prix) et qui nous rende fiers.
Il y a des connexions solidaires, des magasins, des unions locales. On travaille pour les groupes locaux. Mais il est difficile d’exporter dans l’Union européenne.

Est-ce qu’il y a des ouvriers allemands qui vous soutiennent ?
On sait que la classe laborieuse allemande a un programme révolutionnaire. Mais il y a une usine Metal Union. Et Makis dit toujours qu’IG Metal accorde des millions à chacun de ses actionnaires. Pour eux, ce n’est rien. Ça explique la capacité des travailleurs auto-organisés.
C’est la même chose en France : il y a une différence entre les initiatives locales de solidarité et le gouvernement. En France, les groupes solidaires locaux soutiennent les cliniques sociales. Une caravane est venue ici il y a deux ou trois mois, à partir d’un comité en Normandie. Et la mobilisation se fait autour du système de santé.
La clinique sociale que nous avons créée ici, on l’appelle une clinique de travailleurs. Elle a été faite pour ceux qui n’ont pas de sécurité sociale, pour qu’ils n’aient pas à payer.

Quelle est la différence entre les cliniques solidaires en général et les cliniques de travailleurs comme ici ?
Ici, les interventions sur la santé se font à partir des conditions sociales et des conditions de travail. On a une carte pour l’aide.

Il n’y a pas de médecine du travail en Grèce ?
Dans les grosses entreprises, il y a quelqu'un qui travaille tous les jours ou tous les mois. Même les informations qu’on collecte ici sont très importantes. Mais personne ne peut prétendre qu’il y a une vraie médecine du travail. Ici, on fait des rendez-vous tous les jours. Et chaque mercredi, on fait des rendez-vous d’un peu plus d’une heure. C’est avec des volontaires, mais on pense que ce serait bien de trouver à employer quelqu'un. Vous devez travailler tout le temps, mais vous le ferez vous-mêmes.
On a donc ouvert une clinique pour tous les travailleurs du secteur. Les (mobilisations ?) se font par l’Union des coopératives. Au sujet des critères de l’union locale, on connaissait des gens qui étaient médecins. Certains étaient très intéressés, et ils étaient organisés. S’ils le veulent, ils peuvent venir ; mais ce n’est pas d’un très haut niveau, ce n’est pas comme la sécurité sociale. Ils peuvent travailler légalement, ils doivent travailler cent jours. Quant aux migrants, ils sont de la classe des travailleurs. Et ça se fait dans les bâtiments industriels.

Quels sont les problèmes de santé rencontrés ici ?
Il y a des problèmes de santé à cause de la pollution de l’usine et de l’environnement. C’est l’expérience es travailleurs et des patients travailleurs. Mais ils participent aux rendez-vous pour les aider : il y a un numéro sur lequel on peut appeler. Ensuite arrive la seconde étape, et c’est une très longue procédure.

Quels sont vos horaires de travail ?
On travaille tous les jours de 7h à 15h. Et avec les gardes d’après-midi. Il y a aussi un marché sans intermédiaire. On est tous payés de la même manière par heure (2€ de l’heure). Ce n’est pas beaucoup, mais la situation est qu’il y a ailleurs des travailleurs qui ne sont pas payés. Le contrat est pour vingt heures (par semaine). Si on travaille le dimanche, on est payés davantage.

Comment voyez-vous l’avenir ?
Ça ne peut pas durer très longtemps : on essaie de survivre pour soutenir notre famille. Mais ce que nous avons est une place avec une bonne production, qui nous donne un travail correctement payé. Si on veut se donner une chance, il faut commencer de prendre des mesures adéquates. On a une discussion sur la manière de travailler.
Le net est de 498 €. On peut gagner cent euros par semaine. Peut-être que maintenant on est au-dessus de la situation moyenne. Quand on n’est pas payé, on peut faire grève ou décider qu’on quitte son travail. C’est une discussion qu’on maintenant : même si ce gouvernement est libéral, c’est important de savoir que ce sont quand même des gens issus du mouvement social qui contrôlent le système.
Le travail prend sens parce qu’on est un lieu de travailleurs ave notre propre contrôle, avec un lieu. On présente nos capacités économique ; donc, en général, ça fait sens. Le slogan est : « S’ils ne peuvent pas le faire, vous pouvez le faire » (« If they can’t do it, you can do it ». Ça fait sens pour avoir le contrôle, pour tout discuter. Ça fait plus de discussions et d’efforts.
Dans la production moderne, ils utilisent des groupes. Ceci peut seulement arriver dans un environnement démocratique. S’il y a un manager, il n’y a plus de démocratie. Dans un sens général, la technologie nécessite une voie démocratique pour être organisée.

Quels sont tes engagements ?
Je suis un activiste, déjà membre d’initiatives comme étudiant. Mais j’étais sans emploi. La coopérative s’est déterminée et a déterminé mon choix. Pour moi, c’était aussi un choix politique de venir ici. Pour moi personnellement, c’est une bonne période, pare que ce que je fais est sous le contrôle de mon groupe politique. Et ça me donne plus de liberté. Je peux prendre plus d’initiatives. Donc, quand je commets uen erreur, je peux la corriger.

Comment vois-tu le rôle de Syriza ?
C’est un gouvernement sans memorandum en général. Donc en général, pour le mouvement des travailleurs, la meilleure situation est encore ce gouvernement. Les travailleurs ont des gains depuis les élections. On essaie aussi de demander au gouvernement d’aller à l’encontre de la tendance néolibérale. Mais il y a un grand désappointement à cause de cette situation. Certains travailleurs sont déprimés, d’autres sont en colère. Personnellement, je pense que la dépression est d’un haut niveau. Cette déception est plus affective pour les militants et activistes. C’est ce qui cause des problèmes, car les activistes ne savent pas ce qui va arriver maintenant.
Ce qu’on cherche maintenant, c’est un soutien international et une publicité. On pense que le self management risque de ne pas survivre selon les aspects de la vie. VIOME a un rôle à jouer là-dedans, comme expérience qui peut faire modèle. VIOME est très célèbre, mais il faut créer autre chose. Ce qu’on sait, c’est que les gens ont ici une représentation de la manière de résoudre leurs problèmes. C’est Syriza, mais c’est aussi la bureaucratie européenne. Mais cette expérience crée de la nouveauté (en Belgique, par exemple). Nous pensons que, oui, nous sommes capables de faire cela. À Marseille, à Paris, à Milan, à Rome, à Zagreb, il y a des choses similaires à VIOME. Le modèle est :
- auto-organisation (self organisation),
- contrôle des travailleurs (workers control) dans les lois, pour le financement, pour le marketting, etc.,
- contrôle social (social control) : pas en conflit avec les initiatives solidaires, mais accepter le rôle de la société,
- auto-direction (self management) : c’est le point le plus haut du contrôle des travailleurs).
Ce n’est pas comme l’idéologie communiste, mais ça peut arriver dans l’expérience réelle, pour que les problèmes de tous les jours soient résolus.

Makis Anagnostou, figure phare du mouvement avec qui on discute ensuite, donne d’autres précisions :

Je travaille ici depuis 1998. Jusqu’en 2007, c’était très directif. Après 2007, on a senti quelque chose qui n’allait pas bien. Il y avait des éléments qui donnaient à penser qu’il y avait un problème. Je travaillais à la production de colle. L’union syndicale a été créée en 2006, sous le nom de VIOME : dans la phase où nous étions le plus nombreux, on était quarante-deux. Après que l’usine ait fermé, la plupart des gens sont venus pour faire partie de l’union syndicale. Ils dormaient ici.
Il y a une loi en Grèce, où la compagnie a le droit légal de garder les machines. On avait donc le droit d’occuper l’usine. Et on a décidé de ne pas stopper la production. Ça a commencé avec le comité solidaire de Thessalonique et les organisations politiques. Et aussi avec un regroupement européen et l’union syndicale. De telle sorte qu’on peut produire.
Le second aspect est de participer beaucoup au mouvement en Grèce sans intermédiaire. On participe beaucoup dans chaque ville de Grèce où le marché prend place. Depuis un an et demi, on a une boutique en ligne. Des antennes pour les produits, avec trois employés. C’est la manière dont on distribue la production.

Quel est ton plus grand espoir ?
Pour la coopérative ? Que l’usine passe entre nos mains, et le terrain lui-même.
Est-ce que ça te paraît possible ?
Bien sûr que c’est possible, on ne le demanderait pas sans ça. Mais il faut faire un mouvement politique tel que Syriza, car cette situation ne sera pas résolue d’une autre manière que par une intervention politique.
Comment combattre pour ça ?
D’abord, on participe en participant au mouvement social qui demande au gouvernement. On participe à toutes les grèves, on est en contact quotidien avec les groupes et organisations. On peut parler avec ce gouvernement en marchant dans la rue, en parlementant avec le gouvernement officiel. On a la voix pour réellement mettre nos idées en avant.

Ce travail tente de tisser les liens, de faire apparaître ce qui unit l’histoire grecque de long terme avec l’histoire contemporaine. Après la période archaïque, neuf siècles constituent progressivement les modalités économique, sociales et politiques de la Grèce antique (classique, héllénistique et romaine). Onze siècles constituent la Grèce médiévale (byzantine, slave et bulgare). Et quatre siècles constitueront la première modernité, celle de la période ottomane (du XVème au XIXème siècle).
Les luttes d’émancipation de la guerre d’Indépendance, de 1821 à 1830, impliquent un soutien des puissances occidentales qui commence, dès 1893, à forger une rhétorique de la dette. Mais cette histoire est aussi l’histoire parallèle des mouvements de solidarité qui n’ont pas cessé de construire ses alternatives, et dont on a tenté de saisir les configurations dont nous pouvons, nous aussi, nous sentir solidaires.