Un « nous » de l'Est méditerranéen


Philippe BAZIN et Christiane VOLLAIRE
Projet d'exposition pour le MUCEM (Marseille).
Novembre 2019

Grèce, Bulgarie, Albanie, Turquie, Égypte
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Au long de ces vingt premières années du XXIème siècle, le travail collaboratif du photographe Philippe Bazin et de la philosophe Christiane Vollaire trace un parcours de recherche innovant, autour d’une partie de l’Est méditerranéen, interrogeant les formes multiples de la vie sociale et des engagements collectifs.
Du travail sur les Femmes militantes des Balkans au tournant des années 2000 à celui qui questionne les solidarités en Grèce en 2017-2018, le « NOUS » d’un commun contemporain est mobilisé, dans cet espace géographique foisonnant et différencié du pourtour de la Méditerranée. La recherche associe pour cela, dans une démarche novatrice, les exigences d’une photographie documentaire critique à celles d’une philosophie de terrain.

Ce travail commun a déjà trouvé de nombreux échos favorables dans des lieux de recherche et de création : ENS de Paris (Ulm) et Lyon, EHESS, Inalco, Universités (Paris 7, Paris 8, Paris 10, Paris 13, Lausanne, Thessalonique) ; Écoles des Beaux-arts (Dijon, Bourges, Angoulême, Paux-Tarbes, Marseille, HEAD de Genève) ; lieux d’exposition (Musée des Beaux-arts de Calais, Musée des Sables d’Olonne, Galerie Le Bleu du Ciel à Lyon, Maison Robert Doisneau à Gentilly, Château Coquelle à Dunkerque), scènes publiques (Maison de la Poésie à Paris, Citéphilo à Lille, Cinéma Eldorado de Dijon, Le Vent se lève à Paris).

1. Un dispositif original de recherche-création : photographie documentaire et philosophie de terrain

En 2017, le photographe et la philosophe publient chacun un livre-manifeste , théorisant les fondements de cette démarche qu’ils mènent ensemble depuis le début des années 2000 et repensant ainsi à nouveaux frais leurs disciplines respectives. Ressaisissant les différents moments de leur travail commun, ils tracent aussi les lignes des projets qui vont suivre.
C’est d’une articulation forte entre esthétique et politique que procède cette recherche, à la fois dans son processus sur le terrain, et dans la manière dont elle s’élabore ensuite pour prendre les formes de l’exposition, du livre ou du dispositif original mis en place comme projection parlée.
Le photographe suscite une pensée de l’espace, urbain ou rural, par le travail du paysage autant que par celui de la singularité du visage ou de la multitude des foules, reconfigurant dans le contemporain les pistes ouvertes par une histoire de la photographie.
La philosophe, née à Marseille, travaille à partir des entretiens menés sur le terrain, sollicitant la parole de sujets qu’elle choisit de considérer non comme des témoins ou des victimes, mais comme les acteurs de leur propre histoire et d’une histoire collective.
Le croisement de la parole et des images, par leur montage dans le dispositif de présentation, donne à voir et à penser la profondeur temporelle, autant que l’actualité la plus vive, d’une part du monde méditerranéen contemporain.

2. Des terrains de travail autour de la Méditerranée

En 1999, le travail sur les Femmes militantes de BALKANS, a pris naissance, juste après la guerre du Kosovo, dans une rencontre organisée par la revue Transeuropéennes entre des femmes issues des différents pays de l’ex-Yougoslavie. La forme associe trois régimes d’image : les visages des femmes en gros plan, des extraits d’entretien en bilingue français / anglais, des espaces vides qui signifient les disparus, privés d’image et de parole, des guerres fratricides qui viennent de se dérouler. L’œuvre a été présentée au Musée de Tourcoing, et fait partie des collections du Fond National d’Art Contemporain. Elle a circulé sur le terrain même des Balkans.

En 2007, le travail en ALBANIE croise les images des usines d’armement, désaffectées par les mutations économiques et politiques, à un texte réflexif sur la question du bunker. Une partie du travail photo et vidéo a été présentée dans l’exposition monographique du Musée de Calais, consacrée au travail de Philippe Bazin en 2010.

En 2011, le terrain est en ÉGYPTE, autour des révolutions arabes qui sont en train de se jouer au Caire et à Alexandrie. Le travail du texte prendra la forme d’un article publié dans la revue Outis : En Égypte : un possible entre les réels. Le travail photographique se fait autour des affiches et banderoles électorales qui animent l’espace public.

En 2013, le terrain est en TURQUIE, autour des protestations du parc Gezi à Istanbul, liées à la revendication de liberté politique. Il prendra la forme d’entretiens publiés dans la revue Outis Les photos seront publiées dans le n° 87 de la revue Chimères Politiques de la communauté, paru en avril 2016.

En 2014, le terrain est en BULGARIE, autour des immolations qui ont accompagné le grand mouvement de protestation de l’année précédente, contre la corruption. Il prendra la forme d’une projection parlée, Terre brûlée, qui sera présentée entre autres à l’École des Sciences politiques de Lyon (2016), en cinéma d’art et d’essai à Dijon (2017), à l’École des Beaux-arts de Marseille (2018), à l’Inalco et à l’EHESS à Paris (2019).

En 2017-2018, le terrain est en GRÈCE, autour de la question des Solidarités. Il s’organise sur une année entière en trois moments : urbain à l’été été 2017 (Thessalonique et Athènes), maritime en février et avril 2018 (îles de Lesbos et Ikaria), rural à l’été 2018 (Épire, Macédoine occidentale, Patras).
Il aborde à la fois les mouvements collectifs d’autogestion qui pallient les défaillances des politiques publiques, et ceux qui se créent en soutien aux migrants et réfugiés. Il questionne aussi l’histoire récente de la Grèce du XXème siècle et les enjeux qui s’y nouent dans l’actualité contemporaine.
Ce dernier travail est en partie présenté, au cours du dernier trimestre 2019, dans deux lieux où il s’intègre à deux expositions monographiques :
- à Gentilly, Qui est nous ? , dont le premier étage alterne des portraits d’entretien faits par Philippe Bazin pendant le temps des échanges, et des extraits d’entretiens qui s’y intercalent
- à Dunkerque, où l’exposition Underground Water-road présente essentiellement les paysages de l’île de Lesbos dans le cadre du travail mené par Philippe Bazin depuis 2001 sur la question des migrations.
Le travail sur la Grèce a bénéficié d’une bourse d’aide à la création du CNAP.
L’ouvrage Solidarités en Grèce, qui rend compte de l’ensemble texte et photographies de ce terrain complexe, coédité par la Revue d’Études balkaniques et les éditions Loco, paraîtra au premier semestre 2020. Une photographie tirée de cet ensemble a fait récemment l’objet d’une acquisition du FRAC Hauts de France.

Cette histoire des territoires méditerranéens est aussi une histoire des mobilités – de la nécessité vitale des migrations autant que du désir de refuge et de sédentarité – ouvrant à ce que le philosophe d’origine grecque Cornélius Castoriadis nommait L’Institution imaginaire de la société. Engagements, revendications, solidarités, pourraient dessiner ainsi, par le montage alterné de l’image et de la parole, quelques pistes signifiantes d’une histoire populaire de la Méditerranée orientale contemporaine.