Sur le film de Michael MOORE : SICKO
Pratiques n°40, 1er trimestre 2008
Evidemment, le titre est un clin d'œil de cinéphile au Psychose de Hitchcock, à partir du mot "sick" (malade). Il signifie de ce fait le véritable système de fous dans lequel fait entrer le vécu de la maladie aux USA.
Ce film de Michael Moore, aussi riche en informations que percutant, est donc une véritable entreprise de salut public, car il montre tout simplement, par ce contre-modèle, à quelles horreurs peuvent tendre les logiques sanitaires du système libéral. La forme, très maîtrisée, en est à la fois documentaire et métaphorique. Documentaire, le film présente un certain nombre de cas cliniques : cet homme à qui un accident du travail a sectionné deux doigts, et qui doit choisir celui qu'on va lui réparer, parce qu'il n'a pas les moyens de réparer les deux. Cette femme dont le mari, à qui on avait trouvé un donneur pour sa greffe rénale, mourra du refus de l'assureur de financer l'opération. Cette autre femme dont la gosse, avec une fièvre à 40°, mourra en quittant l'hôpital qui a refusé de lui faire les soins d'urgence.
Documentaire également, l'enquête menée sur un système d'assurances privées, dont la finalité explicite est le refus de soin. Pour les juristes, médecins et experts divers employés par le système, un "sinistre" est une obligation de prise en charge, qu'il faut à tout prix éviter. Ils sont donc payés pour trouver le moyen, toujours biaisé, de la refuser. Ce qui donne lieu à des situations proprement kafkaïennes : une jeune femme se verra réclamer le remboursement à l'assurance de la prise en charge de son cancer, parce qu'elle n'avait pas déclaré une mycose qu'elle avait eue dix ans plus tôt. Documentaire enfin, la présentation (au demeurant hilarante) des lobbies liés à la santé : assureurs et laboratoires s'étant assuré la complicité des pouvoirs politiques dans leur entreprise de privatisation du système de santé, en particulier depuis l'ère Nixon.
Métaphorique, le bateau chargé de malades auxquels on a opposé un refus de soins (et dont certains sont les pompiers bénévoles victimes des attentats du 11 septembre), arrivant dans la baie de Guantanamo en demandant d'avoir eux aussi, comme les prisonniers, un médecin pour quatre patients (et l'on sait que la fonction des médecins ici n'est pas précisément de soin). Métaphorique, le clin d'œil aux représentations diabolisantes de Cuba, auxquelles on confronte la réalité d'un système de soins plus égalitaire que le système américain. Métaphorique, l'image finale qui montre Moore grimpant les marches de la Maison Blanche, son panier de linge sale sous le bras, parce qu'il a appris qu'en France, l'Etat finançait des aides ménagères pour aider dans leurs tâches quotidiennes les jeunes mères accaprées par leur nouveau-né.
Le film joue des registres du burlesque aussi bien que de ceux du tragique. Mais ce dont il est porteur, c'est d'abord d'une puissante colère, contre la réalité d'un système de santé à proprement parler criminel. Celui-là même qui sert de modèle, en France, aux réformateurs actuels.
© Christiane Vollaire