Penser les usages de la photographie dans une philosophie de terrain


les modalités de l’inadéquation
Pour le Plan Académique de Formation de Lille Penser la photographie (Introduction avant projection commentée)
Vendredi 30 mars 2018
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La relation entre photo, philo et terrain, nous jette dans une conflagration d’inadéquations :

- entre la tradition philosophique et les nécessités de la pensée
- entre la photographie et le réel
- entre l’image et le langage
- entre le langage et le réel
- entre les traditions artistiques et les problématiques photographiques
- entre les attentes sociales et l’exigence documentaire
- ente les nécessités du financement et les exigences de la critique

Ça ne colle pas. Mais c’est en tentant non seulement de penser ces inadéquations, non seulement de les éprouver, mais de les mettre à l’épreuve d’une tentative de création intellectuelle et artistique, qu’on peut produire une réflexion qui articule esthétique et politique.
Cette pensée de l’inadéquation, elle est elle-même fondatrice des modalités artistiques de la modernité du XXème siècle : celles du collage et celles du montage.
Mais, en ce début de XXIème siècle, elles s’affrontent, lorsqu’on aborde la question initiée par Gramsci autour de la subalternité, à la question des rapports de classe et à une problématique du déplacement.
Une pensée philosophique qui se veut capable de penser ce que Foucault appelait « notre actualité » (et non de la livrer sous la forme parfaitement biaisée et faussement documentaire du « communiqué de presse ») doit penser son rapport à l’image en général, et à l’image photographique en particulier. Et elle ne peut le faire qu’en relation avec des artistes qui pensent leur propre rapport à l’image et à sa textualité.
Il y aura donc un double déplacement :
- dans le dialogue avec l’artiste pour une création qui puisse être sinon commune, du moins partagée.
- dans l’entretien avec des sujets qui pensent leur propre condition. Ce terrain-là est nécessairement source de malentendus. Mais la tentative (nécessairement inaboutie) de résoudre ces malentendus, de les articuler, n’est rien d’autre qu’une authentique tentative de penser.
C’est pourquoi j’ai choisi de partir de l’œuvre d’une artiste photographe actuelle, Martha Rosler, américaine intitulée The Bowery in two inadequate descriptive systems (1974-1975) (photos + listes de mots)

Elle témoigne d’une double inadéquation :
- de sa position de classe avec le milieu social où elle a choisi de travailler, et où elle se trouve véritablement déplacée
- de l’image avec la réalité de ce qu’elle prétend représenter.
La philosophe Gayatri Spivak, à la fin des années 80, publiera un livre intitulé Les subalternes peuvent-ils parler ?
Rosler inverse la proposition en : les classes moyennes peuvent-elles entendre ? Et, au-delà, que doit-il en être des dominants ?