Le ciel baroque


Proposition pour l’Atelier des Philosophies plébéiennes Sexualité et pouvoir
Fertans, 20-21 octobre 2018
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La peinture religieuse baroque nous présente ce lieu de pouvoir par excellence qu’est le ciel comme une gigantesque partouze, où des anges, des saints, des nymphes, des « putti » en lévitation extatique et tournés dans tous les sens, offrent aux spectateur les diverses parties de leur anatomie en s’entremêlant les uns aux autres. La toute-puissance y est d’abord sexuelle, suscitant ce mixte d’admiration et d’envie qui fait tirer la langue au commun des mortels, tandis qu’on lui inflige les Tables de la loi et le Code de la famille.

Brett Easton Ellis, écrivant Moins que zéro, montre comment, dans ce temple de l’image-reine et de la communication qu’est Hollywood, usine à fantasmes, les coulisses sont celles des beaux jeunes gens désireux d’un rôle, dopés à la coke ou à l’héroïne et traînés de piscines de luxe en saunas privés pour l’usage des magnats et des financeurs, jusqu’à ce que, leurs corps fanés et leurs neurones détruits, ils soient balancés aux poubelles de l’histoire du cinéma.

Cinq minutes d’un regard jeté à n’importe quelle émission de télévision suffisent à capter le regard égrillard et le sourire visqueux d’un présentateur quelconque titré « journaliste », sur le même modèle que son invité « politique », et saisir quelle est la vie quotidienne des différentes « assistantes » des uns et des autres, et à quel type de servitude parfaitement volontaire elles seront assignées, jusqu’à ce que, sans doute virées pour une ou quelques autres, elles se décident à « balancer leur porc ».

Dans cette porcherie nuageuse qu’est le ciel baroque, le pouvoir sent l’alcôve, pour ne pas évoquer plus clairement quelle en est l’odeur. Et puisque la volonté de servitude est liée à sa rétribution, le plaisir sera nécessairement du côté du financeur.
Aucune tirade, ni contre l’esclavage sexuel, ni pour le fantasme bunuelien de Belle de jour, ne permet de rendre compte de cette étroite corrélation de la puissance et de la jouissance, au cœur de la question politique, qui fonde l’ordre impossible à destituer de la prostitution. Et qui fait de la simple hôtesse d’accueil d’un hôtel la proie désignée d’un client, ou de sa femme de chambre l’appât d’un traquenard politique.

Le ciel est interdit ; mais dans l’enfer lui-même, les démons qui traquent les pêcheurs dénudés n’en font rien d’autre que des proies sexuelles. Et la représentation que Delacroix se fait de Sardanapale à son dernier festin est celle des esclaves sexuelles qu’on déshabille avant de les lui sacrifier. À Santiago du Chili, « Venda sexy » était le lieu de torture où personne n’avouait avoir été prisonnier, parce qu’on y était sélectionné pour son attractivité, et soumis pour cette raison à la dégradation des sévices sexuels. Et il est devenu de notoriété publique, depuis l’ « affaire Théo », et parce que ce dernier a été le premier à parler, que le viol public, sur la place de son propre quartier, est une constante des sévices infligés par la police néo-coloniale des banlieues françaises.

L’exposition contemporaine de ce qu’on appelle « intimité », l’obligation faite de s’y plier, les formes d’ « aveu » (selon la terminologie foucaldienne) qu’elle génère, sont bel et bien au cœur de cette nouvelle forme du biopolitique qui n’est plus l’assignation au renoncement mais l’impératif de jouissance : « Faites-vous plaisir » est devenu le slogan consumériste par excellence. Et, pour cette raison même, le ciel baroque tend à se confondre avec son enfer.