Entretiens avec Philippe BAZIN


Propos recueilis par Christiane VOLLAIRE
de juin à décembre 1996
Pour la revue AGORA. N° 39 sur Le regard médical, hiver 1997

Ce texte est le produit d’une longue gestation. Un premier entretien de sept heures, puis un second deux mois plus tard, enfin un troisième après deux autres mois, ont été organisés en dix-neuf thèmes récurrents, à partir desquels Philippe BAZIN a réalisé un enregistrement. Ce texte en est le décryptage.
Une sorte de technique mixte, donc, à parir de laquelle les regards croisés de l’interrogateur et de l’interrogé ont tissé lentement une trame serrée.

Philippe BAZIN, né en1954, photographe, vit et travaille à Lille.

L’INITIATION

LE CHOC INITIAL

Issu d’un milieu scientifique, j’ai choisi la médecine, pour tent er d’allier esprit scientifique et humanisme.
A la fin de mes études, j’ai été envoyé en stage interné dans un hôpital de campagne, où il y avait des vieillards qui étaient là pour mourir. Ca a été pour moi un choc insupportable, car il n’y avait que des gens que je ne comprenais pas, parce que c’étaient des gens et non des maladies . Il y avait des gens en train de mourir, ça sentait mauvais, ça criait dans tous les coins, les gens souffraient, et je me sentais totalement démuni. Et puis, surtout, j’avais l’impression que tout ce que j’avais appris au CHU ne servait pas à grand chose.
Ce sont les vieillards qui m’ont réveillé en me disant un certain nombre de choses: “J’attends la mort”, “On ne me parle pas”, “Vous nous avez mis ? là pour attendre qu’on meure”; toutes ces choses que j’entendais ont provoqué un déclic.
En classant le dossier d’un malade, je me suis aperçu que j’avais, quinze jours après sa mort, complètement oublié son visage. J’étais incapable de remettre un visage sur le nom que j’avais en face