Stratégies de la perception


Pour la revue Chimères n° 91, Politique des drogues, juillet 2017
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En 1954, Aldous Huxley publie Les Portes de la perception, l’année qui suit l’expérience de la mescaline à laquelle il s’est prêté. Les années cinquante sont celles où se conjuguent les recherches biologiques sur le système nerveux, les recherches physicochimiques sur la production pharmaceutique de substances inductrices, et les recherches comportementales sur la psychologie, dans le temps où la production artistique et littéraire est elle-même interrogée dans son rapport à ses activateurs. Henri Michaux, un an plus tard, commencera de même ses tentatives de dessin sous mescaline, sous le contrôle et avec le soutien des laboratoires pharmaceutiques Sandoz. Ainsi sont présentées toutes les garanties d’une rigoureuse scientificité, comme garde-fous (au sens propre) d’une percée dans le territoire énigmatique de l’hallucination. Huxley décrit ainsi l’origine de son essai :

Le trouble mental est-il dû à un trouble chimique ? (…) Les limiers – biochimistes, psychiatres, psychologues – sont en chasse. Grâce à une série de circonstances pour moi fort heureuses, je me suis trouvé, au printemps de 1953, nettement en travers de cette piste. L’un des limiers était venu, pour affaires, en Californie. (…) J’étais sur place, et disposé – voire empressé – à servir de cobaye.

« En travers de cette piste » : le double sens de la formule se saisit immédiatement. Sur la route du discours scientifique, mais autant pour l’accompagner que pour le détourner ou lui faire obstacle. Et de fait, le texte entier met en évidence l’impasse à laquelle aboutit l’intention initiale. C’est de cette impasse, et des usages qui peuvent en être faits, que traite en réalité le texte.

L’intensité comme effraction

Vingt-deux ans plus tôt, en 1932, Huxley avait publié le livre qui l’avait rendu célèbre, Le Meilleur des mondes. Le « soma » (qui en grec signifie le corps) y était présenté comme la drogue distribuée à grande échelle pour fluidifier les relations sociales, rendre la population docile en diffusant massivement un accès tout à la fois contemplatif et consumériste à un bien-être homogénéisé. Le Meilleur des mondes était en quelque sorte le versant contemporain, biologique et physico-chimique, de La Démocratie en Amérique de Tocqueville. Tocqueville, à son retour de ce qui deviendra les Etats-Unis, publiait en 1835 une forme d’anticipation politique sur la manipulation des masses par une sorte de tyrannie du bien-être réduit à la consommation passive. Huxley présente les moyens et les possibilités techniques offertes à une telle tyrannie par la recherche génétique et biochimique. En 1958, il en montrera les effets réels dans l’essai Retour au meilleur des mondes.
Mais, paradoxalement, c’est exactement à l’encontre de cet usage massifiant et biopolitique des drogues que se présente Les Portes de la perception. Et bien vite, le prétexte scientifique à leur usage expérimental est lui-même évacué. Huxley l’écrit :

Comme je désirais ardemment qu’on me laissât seul avec l’éternité dans une fleur.

S’agit-il seulement ici d’un motif de rêve ou d’évasion ? Les termes employés par Huxley pour décrire l’épreuve de la drogue ne se rapportent nullement à l’imaginaire, mais bien plutôt à la puissance du réel. « L’éternité dans une fleur », sous sa connotation romanesque, convoque bien plutôt la rigueur du mouvement romantique tel que l’évoque un historien de la philosophie comme Georges Gusdorf , que son édulcoration. C’est l’épreuve d’une dilatation du temps dans l’intensification de la présence au monde : une épreuve qui fait perdre au temps toutes les fonctionnalités de son usage social ordinaire, et met en évidence, sans ambiguïté, les limitations réductrices de cet usage. La perception ordinaire est un mode automatique de sélection des données du réel, d’élimination et d’appauvrissement, qui fait de notre rapport au monde, pour les raisons mêmes de la socialisation, un rapport déceptif. Huxley cite à l’appui un adepte de la pensée de Bergson, qui va dans le sens de ce concept réductionniste de la perception, et en définit l’usage instrumentaliste quotidien, lié aux nécessités pragmatiques de la vie de relation :

Nous ferions bien d’examiner avec beaucoup plus de sérieux que nous ne l’avons fait jusqu’ici le type de théorie que Bergson a mise en avant au sujet de la mémoire et de la perception sensorielle. Ce qu’il suggère, c’est que la fonction du cerveau, du système nerveux et des organes des sens est, dans l’ensemble, éliminative et non productive.

Et de ce point de vue, la perception la plus authentique, la moins évasive, la plus adéquate au réel, nécessite ce que Huxley appelle des « dérivations », des voies autres qui ne peuvent être ouvertes que par la puissance des adjuvants, qu’ils soient de méthode ou de contenu :

Des conduits de dérivation temporaire peuvent s’acquérir, soit spontanément, soit comme résultat d’ « exercices spirituels » délibérément voulus, soit par l’hypnose, soit au moyen de drogues. Par ces dérivations permanentes ou temporaires coule (…) quelque chose de plus, et surtout quelque chose d’autre, que les matériaux utilitaires soigneusement choisis, que notre esprit individuel rétréci considère comme une image complète, ou du moins suffisante, de la réalité.

Les drogues auraient pour fonction de rendre au réel l’envergure et l’ampleur que l’usage utilitaire des sens lui aurait ôtées. Elles auraient, autrement dit, pour fonction de rendre le réel à ce dont l’intention scientifique et technique elle-même l’aurait mutilé. Et c’est par les drogues que pourrait se faire une entrée de plain-pied dans la réalité du monde dont l’existence sociale nous aurait exilés.
Les portes de la perception sont donc bel et bien pour Huxley une effraction possible et nécessaire dans le mur de l’utilitarisme social, qui conditionne l’accès à une authenticité existentielle. Une voie de passage dont la force existentielle est telle que, pour reprendre son expression :

L’homme qui revient après avoir franchi la Porte dans le Mur ne sera jamais tout à fait le même que l’homme qui y était entré.

Ce qui signifie de fait, d’une certaine manière, que tout retour en arrière est impossible, si ce n’est aux conditions du manque. L’épreuve du manque ne serait donc pas ce qui se définit dans les termes pathologisants de l’addiction. Mais ce serait au contraire l’épreuve saine et naturelle de la mutilation réelle que constitue le rapport ordinaire au monde. Huxley en prend l’exemple dans le sens de la vue, lorsqu’il dit :

Je suis, et ai toujours été, d’aussi loin que remontent mes souvenirs, un « visuel » indigent.

Ce sens de la vue défaillant (Huxley a été menacé de cécité dès son adolescence), ce manque sensoriel, trouve tout à coup sa compensation, sa pleine intensité, dans l’usage de la mescaline qui vient en combler les lacunes. Mais plus largement, c’est le déficit sensoriel exigé par notre usage ordinaire de la perception, l’indigence et le handicap « normal » qu’il produit, qui serait enfin surmonté par les voies de la dérivation toxicologique. Il ajoute quelques pages plus loin :

Je voyais ce qu’Adam avait vu le matin de sa création - le miracle, d’instant en instant, de l’existence dans sa nudité.

Et plus loin encore :

La mescaline élève toutes les couleurs à une puissance supérieure.

La question des drogues pourrait ainsi conduire à réinterpréter la formule, devenue célèbre au XVIIIème siècle, du philosophe irlandais Berkeley : « Esse est percipi aut percipere ». Il ne s’agit pas seulement, en affirmant qu’ « être c’est être perçu ou percevoir », de définir l’existence par la relation sensorielle ; mais il s’agit bien plutôt de faire dépendre l’intensité du sentiment d’existence de l’intensité de la perception. Loin d’abstraire le sujet du monde, le stupéfiant au contraire le lierait à lui avec plus de force. Et c’est la plénitude de cette force qui, venant remplir les vides et les manques de la perception ordinaire, ferait éprouver celle-ci comme insupportablement défaillante.

Persévérer dans l’être

Dans un bref texte autobiographique de 1925, intitulé « Rapport objectif sur le bonheur d’être morphinomane », Hans Fallada (devenu célèbre pour la publication en 1947, l’année de sa mort, de Seul dans Berlin) écrit :

Quand je me réveillai ce matin-là, alors que je me tenais face au vide, je sus que je devais trouver de la morphine, à n’importe quel prix.

Ce qui nous intéresse ici est ce « face au vide », qui décrit le manque par ce défaut d’intensité de la perception qui est celui de la vie normale. Le vide est ce sur quoi aucune force ne peut s’exercer, et donc ce sur quoi aucun sujet ne peut faire fond pour exister, c'est-à-dire au sens propre sortir de soi pour venir au monde. Être face au vide, c’est être menacé de disparition, là où toute la force de l’être est précisément d’apparaître. Et en ce sens, pour Fallada, l’usage de la drogue est bien de remplir la condition de l’existence, de remplir sa condition de vivant, d’échapper au vertige de l’aspiration par le néant.
La quête fondamentale ici n’est pas celle d’un sens ou d’une orientation qui supposerait un rapport au passé et au futur, une conscience de la linéarité du temps. Fallada montrera comment la quête de la drogue, en quoi consiste tout son récit, est au contraire profondément désorientante, égarante, dans une ville dont les méandres ne sont constitués que de quelques repères – les pharmacies et les cabinets médicaux – privés de sens. Mais la quête fondamentale est au contraire celle d’un ancrage dans le présent, un vécu plein et entier de l’intensité dans une présence sans limite et sans représentation. Et cette dilatation de l’être dans l’intensité de la présence définit justement le plaisir. Huxley désignera de la même manière cette forme absolue du plaisir, par ce qu’il appelle « être illuminé » :

Être illuminé, c’est avoir, conscience, toujours, de la réalité totale dans son « autreté » immanente – en avoir conscience, tout en restant dans des conditions qui permettent de survivre en tant qu’animal, de penser et de sentir en tant qu’être humain, de recourir chaque fois qu’il est expédient au raisonnement systématique.

Cette conscience de la réalité totale dans son « autreté » immanente, est ce sur quoi ouvre la « porte de la perception » qu’il tente de pousser avec la mescaline. De fait, un tel concept renverrait à ce que Spinoza désigne comme conatus (le cum latin - avec ou ensemble – signifiant la corrélation totale du physique et du mental, sans distinction entre âme et corps). Pour Spinoza, le conatus, tel qu’il le présente dans L’Éthique, est « l’effort de tout être pour persévérer dans l’être ». C’est l’intensité d’une âme chevillée au corps, c'est-à-dire la pulsion vitale elle-même, dont la puissance du désir est la conséquence.
Si l’addiction est précisément ce qui peut rendre capable de toutes les trahisons (et Fallada le montre par cette déambulation dans Berlin, au cours de laquelle il ne cesse de mentir, non seulement aux pharmaciens auxquels il présente de fausses ordonnances, mais au médecin qui tente de prendre soin de lui, et plus encore à son ami et compagnon de galère dont il vole, puis renverse la dose de morphine en la remplaçant par de l’eau dans le flacon), c’est que l’unique fidélité, la loyauté ultime, est d’éprouver l’intensité d’être soi, d’exister. « Esse est percipere » signifie ici qu’il n’y a pas d’autre essence que celle de la perception, pas d’autre loyauté que la pleine énergie de la sensation. Pas d’autre relation qui vaille, que ce rapport originel à la force intérieure.
Il ne s’agit pas d’un « paradis » comme finalité d’une évasion, mais d’un pur, simple et radical retour à soi, d’un accès à l’origine : une « conversion » au sens augustinien du terme. Le « deus interior intimo meo » d’Augustin (« Dieu, plus intérieur à moi que moi-même »), serait l’équivalent mystique de cette quête d’intensité, au regard de laquelle aucune relation humaine ne peut tenir. C’est du reste sur cette forme d’ouverture mystique que s’achève le texte d’Huxley :

En approchant de la fin de sa vie, Saint Thomas d’Aquin a fait l’expérience de la contemplation infuse. Par la suite, il refusa de se remettre au travail et de reprendre son livre inachevé.

Présentant l’obstination finale au silence de Thomas d’Aquin, il renvoie la plénitude de la sensation à un au-delà des mots, dont la quête mystique (détournée de l’ordinaire religieux autant que de l’exigence théologique) et l’usage des drogues ne seraient jamais que deux variantes, ou deux options différentes. Augustin dopé à Dieu ne veut plus s’en détourner, Pascal aura les mêmes accents dans la « Nuit de feu », mémorandum retrouvé cousu dans sa poche après sa mort. Jean de La Croix, Thérèse d’Avila – dont Fallada retrouve le vocabulaire amoureux pour s’adresser à l’héroïne « ma bien-aimée » - ont tout du toxicomane. L’extase mystique serait peut-être, de ce point de vue, moins à explorer du côté de la pathogénie hystérique que du côté d’une thérapie par l’intensité, qui requiert une unique fidélité.

Affronter les perversions de l’économie

C’est en ce sens aussi qu’on pourrait interpréter un ouvrage collectif paru cette année, dont le titre très explicite est Se doper pour travailler. On y lit :

Plusieurs secteurs d’activité sont identifiés comme « usagers » de substances psychoactives : celui des transports ou de l’agriculture, de la pêche et de la marine, les métiers des arts et du spectacle … D’autres apparaissent plus consommateurs que les autres : le BTP, la restauration ou l’information / communication.

Et la variété de ces substances psychoactives y est énoncée :

On doit sans doute aussi pouvoir intégrer à l’investigation globale l’ensemble des substances, celles dont on parle le plus souvent, mais également toutes les autres : alcool, tabac, amphétamines, cannabis, cocaïne, héroïne, caféine, psychostimulants, analgésiques, médicaments psychotropes, qu’il s’agisse des anxiolytiques, des hypnotiques ou des antidépresseurs.

Que le monde du travail, dans son exigence supposée de rationalité et de normativité, puisse non seulement être un lieu d’usage des drogues, mais nécessiter cet usage par son organisation même, nous dit précisément quel rapport à l’existence permet l’usage des drogues, et quel rapport à l’existence requièrent les conceptions managériales de l’économie du travail. Il semble, paradoxalement, que les normes de l’organisation du travail soient telles que le rapport normal, ordinaire, au temps et à la perception, dans lequel s’inscrit pourtant toute organisation sociale, ne puisse pas s’y adapter. Dès lors, ce n’est plus d’une adaptabilité normale que le travailleur aurait besoin, mais d’une intensité supplémentaire de présence pour assurer l’intensification des exigences de travail et des normes qui leur sont associées. Dominique Lhuilier l’écrit :

Cette intensification aujourd’hui n’est plus réductible à une augmentation des cadences. S’y ajoutent la pression des clients, l’obligation de décider dans l’urgence, la délégation d’arbitrages entre objectifs contradictoires, la complexification du travail et le manque de moyens, ou encore l’envahissement de la vie privée, notamment par les technologies de l’information qui redessinent la frontière entre travail et non-travail, les temporalités du travail.

Et de cette exigence artificielle d’intensification, elle donne l’origine dans l’abstraction des techniques de management, déconnectées de tout rapport au terrain. Une technocratie surplombante et abstractive, qui redessine les frontières dans le temps même où elle redéfinit les codes :

La conception gestionnaire du travail, éloignée du « terrain », remise dans les coulisses la réalité du travail quotidien. Ce qui conduit à la production de prescriptions, d’objectifs et de modes opératoires de plus en plus déconnectés de la réalité des ressources disponibles pour faire. La distance des directions et des managers aux opérationnels, comme leur focalisation sur les critères de gestion financière, favorise un rapport de plus en plus abstrait aux situations de travail.

Ainsi se redessine un rapport à la drogue qui, loin des représentations de la marginalité, vient investir massivement les comportements de la normalité sociale. Le parallèle est alors établi entre l’introduction de l’alcool dans le monde ouvrier pour rendre supportable la violence physique et mentale de la tâche et des rapports de domination qu’elle implique, et l’introduction des drogues dans le monde des classes moyennes et des cadres, pour rendre tout simplement faisables les tâches imposées et intégrable la mutation des normes. De façon parfaitement perverse, cette intensité de la présence qui définit le plaisir dans l’usage des drogues est alors instrumentalisée au service de l’intensification des exigences. Et elle aboutit à cette nouvelle forme de pathologie du travail que l’auteur appelle « le présentéisme », comme impossibilité de s’absenter, même quand des nécessités de santé, ou la simple légalité du temps de présence au travail, le requièrent :

La consommation de Substances Psycho Actives peut être mise en perspective avec un autre phénomène massivement repéré aujourd’hui : le présentéisme, voire ce que certains appellent le surprésentéisme.
Bien souvent, seul un mi-temps thérapeutique est prescrit afin de permettre une transition à la reprise du poste. Mais cette prescription, quand elle n’est pas assortie d’une réorganisation du travail, conduit à assurer en moins de temps la même charge de travail.

Et l’auteur ajoute, à propos de l’usage massif des psychotropes dans le monde du travail, qu’un silence assourdissant pèse sur cette question. Une autre formule d’Huxley appelle alors notre attention :

Pour l’usage sans restriction, l’Occident n’a autorisé que l’alcool et le tabac. Toutes les autres Portes chimiques dans le Mur sont étiquetées « Dope », et ceux qui en font un usage non autorisé sont des toxicomanes.

De fait, il semble que la décision d’autorisation ou d’interdiction officielle des drogues soit moins liée à la réalité de leur toxicité, qu’aux intérêts économiques qu’elles servent. Mais on voit qu’elle est aussi liée à d’autres intérêts, qu’elles génèrent par leur prohibition même. Pour prendre l’exemple massif du cannabis, tel qu’il est évalué par le rapport Roques de 1998, sa neurotoxicité nulle, sa toxicité générale très faible, ses effets de dépendance physique et mentale et sa dangerosité sociale faibles, n’empêchent pas son interdiction ; là où les mêmes critères, appliqués à l’alcool et conduisant aux qualificatifs de « très fort » pour les dépendances, et de « fort » pour les toxicités et la dangerosité, n’empêchent pas son autorisation. Mais, de même que la prohibition de l’alcool aux USA a été une source de profits mafieux devenue légendaire dès que l’autorisation en a levé l’omerta, de même, pour les stupéfiants, c’est l’interdit même qui suscite le prix de la transgression : ce qui se paie est moins la substance que la valeur de l’interdit. Et le commerce illicite génère des profits sans commune mesure avec ceux du commerce licite. Si le désir de la substance se redouble de celui de la transgression, la spéculation sur le désir en est elle-même décuplée avec d’autant plus de virulence que l’objet ne répond pas aux nécessités matérielles de la survie, parfaitement mesurables et objectivables, mais à la spéculation infinie sur le désir.

La puissance des circuits occultes est aussi liée à cette infinité de la spéculation sur le désir transgressif, qui se définit précisément par l’impuissance à en faire un objet de législation. Et de ce point de vue, l’exigence de l’interdit est le principal objet des lobbies mafieux. Là où l’interdit disparaît, le désir va nécessairement se déplacer. Ce qui ne signifie évidemment pas que la levée de l’interdit constitue en soi une solution, mais simplement que son maintien n’en est pas une non plus. De ce point de vue, les politiques de réduction des risques disent éloquemment la différence entre l’effet directement toxique de la substance, et la virulence liée aux conditions de son usage et au système social dans lequel elle s’inscrit.
On voit aussi à quel point ici l’opposition entre licite et illicite ne recouvre en aucun cas la question de la nécessité, mais bien plutôt celle des circuits d’instrumentalisation. Et de ce point de vue, de l’économie du travail à l’économie mafieuse, l’instrumentalisation de l’usage des drogues est le nœud même de sa perversion.