PARCOURS


Pour l'opuscule Merci aux travailleurs venus de loin, ed Créaphis, février 2012, non paru

Une trentaine de parcours. Autant de courses d'obstacles. Et une véritable encyclopédie des métiers exercés, à tour de rôle ou simultanément, par des hommes issus des anciennes colonies françaises. Certains en France depuis la décolonisation des années soixante, d'autres depuis la globalisation des années deux mille. Une expérience de la précarité, de la disqualification professionnelle, de l'oubli social ; mais aussi la réactivité de l'intelligence et de l'adaptabilité. Une aventure commencée dans les nécessités de l'exil, et poursuivie dans les sous-sols des cuisines, dans le vide au-dessus des chantiers, ou, privilège, à l'arrière des camions poubelles.

Depuis ces vies de coulisse, sans papiers ou à peine régularisés, dans la même chambre depuis trente ou quarante ans, ou trimballés d'un bout à l'autre du territoire, de banlieue en banlieue, on entrevoit quelquefois la scène. Et c'est une scène publique, officielle, rutilante et pavée d'honneur, qui s'ouvre dans l'entrebâillement de ces vies de pauvres. Une scène qu'ils contribuent incessamment à construire et à entretenir : des restaurants chics, des ambassades, de grands hôtels, des maisons de couture, des maisons de maître, des mairies, le bureau d'un milliardaire, le service de sécurité d'un Président.

Il faut, paraît-il, mériter l'honneur d'être français. Est-il plus honorable de parader dans les ors de la République en édictant les lois qui la discréditent, ou de contribuer à la construire ? Qui sont nos étrangers ? Plutôt ceux qui légalisent la discrimination, ou ceux qu'elle frappe ? Dans l'alimentaire, dans le nettoyage, dans la construction automobile, dans les hôpitaux, des myriades de travailleurs actifs, retraités ou chômeurs, des artistes, des écrivains, pensent leur vie sur le territoire où le hasard en a fait naître d'autres. Ce sont évidemment eux nos vrais concitoyens.

© Christiane Vollaire