LES CORPS RÉSIDUELS DE LA FICTION SOCIALE


Lignes n°21, "Ruptures raciales, ruptures sociales", novembre 2006

Dès son étymologie, le champ du social commence une carrière pour le moins paradoxale : à partir du latin "socius", qui signifie le compagnon ou l'associé, l'adjectif "sociale", d'abord repéré dans l'expression "sociale bellum", désigne la guerre faite par Rome contre ses alliés italiens, qui réclamaient la condition de citoyens. La messe est dite, et l'on ne définira le lien social, source de toutes les relations inter-humaines, qu'à partir des conflits qu'il déclenche et des processus d'exclusion dont il est l'enjeu. Or l'exclusion, quelque forme juridique et abstractive qu'elle puisse prendre, se traduit nécessairement par une mise à l'écart physique.
Il faudra donc que quelque chose signale l'écart, et la signalétique la plus élémentaire est bien ce qu'on désigne comme "race", puisque l'origine ethnique donne la visiblité immédiate d'une différence. En construisant le "socius" sur la ressemblance, on le rend à la fois irréductible et transmissible. Et la transmission du lien social par les liens du sang en garantit la stabilité et le rend pérenne par les voies biologiques de la reproduction. Si l'homme est bien, selon l'ambivalence de la formule aristotélicienne, un "animal politique", c'est que la performation du lien social par le langage et la loi s'accomplit sur le fond des marqueurs biologiques qui le définissent comme "zoon". La citoyenneté se fonde sur une discrimination ethnique qui renvoie le métèque ou l'esclave à une proximité zoologique : il existe une sous-condition humaine qui se confond avec une origine extra-territoriale, et empêche, pour reprendre une terminologie qui nous est familière, que le droit du sol puisse jamais accéder à la dignité d'un droit du sang.

Dans cette géographie du biologique, les efforts disjoints mais concommittents des techniques de transport et des sciences biologiques vont introduire à la fois de nouveaux paramètres et de nouveaux brouillages, contemporains des phénomènes successifs de colonisation et de décolonisation. Comme l'écrit Nacira Guénif-Souilamas :

"Désormais, ici, les descendants de cette altérité soumise qui aurait dû rester au loin, inaccessible, invisible et inapte à dire ce qu'elle endurait, sont inévitables et importuns. Leur simple présence témoigne de ce dont ils sont les dépositaires involontaires. Leur corps parle pour eux et pour leurs ancêtres, et c'est pour cette parole qui s'échappe de corps qui n'en savent rien, c'est pour les bribes que plus personne ne peut empêcher de sourdre de toute part qu'ils doivent payer un lourd tribut : se tenir à l'écart et être tenus pour coupables." (1)

Ce que dit ce texte, c'est la présence sur la métropole des corps résiduels de la décolonisation. Il dit, de ce fait, l'échec du principe même de la décolonisation, l'échec de la rupture du lien d'assujettissement, ou la métamorphose d'un assujettissement à distance en un assujettissement interne.
Mais cet échec, pour l'ancien colonisé, du désassujettissement, est aussi un échec, pour l'ancien colonisateur, du principe d'universalité. Car ce qui caractérise, de façon spécifique, les guerres coloniales de la République, c'est qu'elles se sont précisément faites à l'encontre de la fiction universaliste qui légitime l'idéologie républicaine. La colonisation était le triomphe du double langage républicain, et cette dualité de langage ne pouvait se fonder que sur une dualité territoriale, ou plutôt se masquer par cette dualité. Dès lors que la duplicité devient visible sur le territoire même de la métropole, c'est le fondement idéologique du lien social qui est discrédité. Le "sanglot de l'homme blanc", tel que l'évoquait avec cynisme le Pascal Bruckner des années 80, n'était pas une simple tartufferie politique, mais la conscience devenue aiguë de cette duplicité, qui sapait toute foi dans l'universel. De fait, la puissance colonisatrice ne pouvait s'exercer sans dommage idéologique que dans la mesure où elle demeurait invisible, absente du regard d'une population métropolitaine constituée en "opinion publique".

Le véritable moment qui arrache le masque universalisant de la colonisation, c'est celui de l'occupation allemande en France. Dans ce moment qui rend aiguë la conscience d'une illégitimité absolue de l'aliénation politico-économique à une puissance étrangère, c'est précisément sur le territoire des colonies françaises que les troupes de libération du territoire métropolitain vont prendre pied. C'est avec l'aide et sur le terrain de leurs propres opprimés, qu'elles vont promouvoir et mettre en œuvre une idéologie de résistance nationale à l'oppression, et de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Sidi Mohammed Barkat montre quels trésors de duplicité législative et stratégique déploie dans cette période l'administration coloniale française opposée au régime de Vichy, pour s'assurer le soutien du territoire algérien dans sa tentative de libération de la France. Une circulaire du 16 mars 1944 intime, aux agents de l'administration française sur le territoire algérien, l'ordre de "seconder les efforts du Comité Français de Libération Nationale en maintenant le bon renom de la France et en la faisant aimer". (2)
Mais un an plus tard, le 8 mai 1945, à Sétif, lors des manifestations organisées pour fêter la Libération de la France, la présence d'un drapeau symbolisant la revendication d'une autonomie algérienne va déclencher un véritable massacre par les troupes coloniales. Et le 17 octobre 1961, sur le territoire français cette fois, en plein Paris, une manifestation pacifiste d'Algériens immigrés protestant contre les mesures d'exception qui leur sont imposées provoque une réaction policière d'une violence meurtrière terrifiante.
Il devient alors évident que l'idéologie des droits de l'homme, qui fonde le principe de la liberté politique pour les sujets comme pour les peuples, ne s'affirme qu'en produisant dans les faits ces "corps d'exception" qui ne relèvent pas du droit commun.

A la période post-coloniale, ces "corps d'exception" sont devenus des corps en migration. Mais le paradoxe est que, même lorsqu'ils ont depuis longtemps cessé de migrer, ils ne cessent d'être des corps de migrants que pour devenir, définitivement, des corps d' "immigrés". Statut qui se transmet désormais de façon quasiment génétique, pour des sujets qui n'ont jamais connu aucune migration. L'appellation même d' "immigrés de la deuxième génération" est exactement le pendant et le symétrique du statut d'exception juridique qui, par l'ordonnance du 7 mars 1944, accordait à certains ressortissants algériens la citoyenneté française "à titre personnel", c'est-à-dire non transmissible à leurs enfants.
L'exception qui interdit de transmettre une citoyenneté qui, dans toutes les règles du droit commun, se transmet, une fois acquise, par la filiation, est la même qui transmet au contraire un statut d'immigré qui devrait demeurer personnel. Et cette transmission de l'appellation d'immigré par la filiation est la première forme de ghettoïsation contemporaine de l'immigration. On peut inclure celle-ci, et la constitution des "cités" de banlieues qui en est la conséquence urbanistique, dans ce que Sidi Mohammed Barkat appelle "la politique coloniale de préservation du cordon sanitaire indispensable au maintien à distance de la filiation indigène et de son patrimoine héréditaire" (3).

Ce "cordon sanitaire", qui protégeait la société coloniale de toutes les formes de mixité, s'est transféré à l'organisation des banlieues, auxquelles on pourrait appliquer, pour ce qui est du comportement policier, ce que Frantz Fanon écrivait en 1961 des territoires colonisés :

"Dans les régions coloniales, le gendarme et le soldat, par leur présence immédiate, leurs interventions directes et fréquentes, maintiennent le contact avec le colonisé et lui conseillent, à coups de crosse ou de napalm, de ne pas bouger. (…) L'intermédiaire ne voile pas l'oppression, n'allège pas la domination. Il les expose, les manifeste avec la bonne conscience des forces de l'ordre." (4)

Le "socius" repose sur une fiction nécessaire, qui est celle de l'unité nationale. Mais il se trouve que celle-ci n'est jamais sans reste, et que ce reste ne cesse de resurgir avec une aveuglante évidence. Le discours volontariste de l'égalité, dans sa dimension fictionnelle elle-même, pourrait avoir vocation à signifier ce que Kant appelait "idée régulatrice" dans le domaine métaphysique, ou "principe téléologique" dans le domaine de l'histoire : une visée qui sert d'horizon à la pensée, et permet d'orienter et de guider l'action. Mais, au regard d'une permanence non pas seulement des politiques, mais des stratégies inégalitaires, il apparaît plutôt comme le masque d'une réalité qu'il tend à cautionner, puisque la réalité, telle qu'on peut la vivre et la constater, est très majoritairement celle d'un recouvrement des divisions de classe par les divisions de race.

Cette dichotomie du discours et du réel se creuse dans le lieu par excellence de la production des discours et de leur transmission qu'est l'école. Là, ce qu'on appelle "échec scolaire" épouse largement (mais pas exclusivement) les contours d'une géographie urbaine qui s'identifie, par les couleurs de sa population, à une biopolitique. Là, des enseignants qui, quarante ans après la décolonisation, sont majoritairement les descendants des colonisateurs, vont enseigner à des élèves majoritairement issus des anciens colonisés. Et aucune sincérité, aucune ferme volonté, aucun désir légitime de transmission, aucune foi dans la capacité d'acquérir et de progresser, ne vont pouvoir s'épargner l'expérience de quelque chose qui s'apparente à la reproduction, dans le lieu même de l'égalitarisme républicain, d'un rapport de domination. Domination purement symbolique, privée de toute force physique, et qui pour cela même met en danger ses propres représentants. Domination résiduelle, qui se pose dans les termes d'un accès commun au savoir, mais ne cesse pas pour autant de s'inscrire dans un système global de partition inscrit dans la réalité, géographique et politique, de la "carte scolaire".
Dans un chapitre intitulé "De l'impulsivité criminelle du Nord-Africain à la guerre de libération coloniale", Frantz Fanon analysait en termes de réactivité politique les qualifications biologiques attribuées aux peuples colonisés, "fainéants-nés, menteurs-nés, voleurs-nés, criminels-nés":

"La paresse du colonisé, c'est le sabotage conscient de la machine coloniale : c'est sur le plan biologique un système d'autoprotection remarquable et c'est en tout cas un retard certain apporté à la main-mise de l'occupant sur le pays global. (…) C'est là une manifestation très concrète de la non-coopération, en tout cas d'une coopération a-minima. (…) Au cours de ces dernières années, j'ai eu l'occasion de vérifier une donnée très classique : l'honneur, la dignité, le respect de la parole donnée ne peuvent se manifester que dans le cadre d'une homogénéité nationale et internationale." (5)

Il semble que cette réactivité politique soit devenue, pour des générations que la décolonisation n'a pas socialement émancipées, une forme de déterminisme social, dans les conditions d'entre-deux permanent que constitue le statut d' "immigré". L'école, lieu de contrainte dans son essence, y devient, dans la mesure même où elle ne remplit pas sa fonction compensatoire d'ascenseur social, un lieu de reproduction des hétérogénéités perçu comme oppressif et inégalitairement socialisant. Le "système d'autoprotection" fonctionne alors véritablement comme "sabotage conscient de la machine" scolaire. Et l'enseignant se trouve confronté à ces formes de résistance larvée qui mettent en œuvre à la fois des stratégies politiques d'obstruction à la transmission et des stratégies défensives (au sens quasi-immunitaire du terme) de non-contamination : comme si la mise en œuvre coloniale du "cordon sanitaire" se retournait contre les descendants (ou les représentants) de ses promoteurs. L'interprétation de l'efficacité de ces stratégies en termes d' "échec scolaire" est un véritable contresens. Il s'agit au contraire d'une mise en échec du système scolaire, et cette mise en échec, en tant qu'elle est tactiquement visée par des comportements adaptés, s'avère parfaitement réussie.

En période post-coloniale, ce sont les services publics qui sont offerts à la vindicte suscitée par la discrimination, et si l'on peut se désoler ou se mettre en fureur d'une position systématique de sabotage, il n'est pas possible de s'en étonner. Ce qui, aux yeux des classes moyennes, apparaît dans le service public et son école comme une forme de résistance ultime aux inégalités de la privatisation, apparaît aux classes disqualifiées comme le maillon faible du système inégalitaire auquel il est possible, à moindre risque, de s'attaquer. Toute position de sabotage est, à un degré ou à un autre, suicidaire ; mais la position discriminante, comme retour déshumanisant contre une partie de sa propre humanité, ne l'est pas moins. Et, plus généralement, en matière de sabotage, le "terrorisme" n'est certainement pas plus suicidaire (et moins universellement terrorisant) que l'ultra-libéralisme.
Ce qu'on appelle "échec scolaire" apparaît ainsi, dans des milieux sans cesse affrontés à l'hostilité du "cordon sanitaire", comme une position de combat, et s'il s'agit de faire obstruction au discours de la transmission, on pourra tout aussi bien aiguiser contre lui une redoutable intelligence polémique (retournant contre le "logos" ses propres prétentions à la rationalité), que le parasiter par le brouillage sonore, ou lui opposer la force d'inertie de l'absence ou de l'emprise toxicologique (économie parallèle, vie parallèle, pensée parallèle, sont autant de formes d'une clandestinité de résistance). C'est une différence de degré, non de nature, qui fait passer à l'agression verbale ou physique.
Que ce qu'on appelle "violence scolaire" puisse être interprété comme l'effet de "feeed-back" d'une violence sociale, que ce qui est décrit comme une pathologie sociale de la délinquance ne soit que la réponse normale à un milieu pathogène, n'en fait pas pour autant une réponse nécessairement appropriée, mais doit pousser au moins à en décrypter le contenu symbolique et les raisons d'être, si l'on veut pouvoir l'intégrer dans un processus critique de transformation sociale au lieu de le considérer en permanence comme une sorte de crise infantile et sans objet.
De fait, les stratégies d'obstruction sont d'autant plus déroutantes qu'elles apparaissent indifférentes à l'égard des formes établies de la revendication (l'opposition qu'on a pu faire dans l'actualité récente, à quelques mois d'écart, entre les émeutes des banlieues de la fin 2005 et le mouvement revendicatif anti-CPE du printemps 2006 en témoigne). Elles ne semblent dénoter aucun modèle politique de construction de soi, aucun choix d'appartenance ou d'engagement, aucune finalité d'action. Et, en ce sens, si elles sont parfaitement indicielles d'une situation pathogène, elles ne sont nullement libératoires, ni d'un point de vue cathartique, ni d'un point de vue politique. Elles appellent au contraire un surcroît de contrôle et de répression, qui ne manifeste que la double impuissance du pouvoir et du non-pouvoir.

Dans son cours de 1976 au Collège de France "Il faut défendre la société", Foucault retournait la proposition de Clausewitz en affirmant que "la politique, c'est la guerre continuée par d'autres moyens" (6). Et le cours s'achevait sur la mise en exergue du racisme, devenu, dans les sociétés bio-politiques, la justification ultime et essentielle du droit de tuer. Tout le paradoxe du système bio-politique est en effet que, reposant sur une universalisation des principes biologiques, il devrait être dans son essence non guerrier : s'il est vrai que, dans la pensée foucaldienne du pouvoir, le contrôle s'oppose à la répression comme la régulation à la discipline, alors le biopouvoir devrait ne se figurer que comme pouvoir intégrateur à l'infini, sans mesure et sans limite. Mais si toute pensée du pouvoir est par ailleurs une pensée de la guerre (et c'est en ces termes que Foucault la présente), alors il faut réintroduire une légitimation de la mort au cœur même du système de régulation des vivants. "C'est là, je crois, qu'intervient le racisme" (7), écrit Foucault. Et il le définit :

"Qu'est-ce que le racisme ? C'est, d'abord, le moyen d'introduire enfin, dans ce domaine de la vie que le pouvoir a pris en charge, une coupure : la coupure entre ce qui doit vivre et ce qui doit mourir." (8)

Et il précise :

" Bien entendu, par mise à mort je n'entends pas simplement le meurtre direct, mais aussi tout ce qui peut être meurtre indirect : le fait d'exposer à la mort, de multiplier pour certains le risque de mort ou, tout simplement, la mort politique, l'expulsion, le rejet, etc." (9)

Cette mort politique, qui est l'objet, comme on l'a vu, du "sociale bellum" romain à l'encontre de ses alliés interdits de citoyenneté, est celle qui frappe tout sujet qualifié de "dégénéré", dans la mesure même où il constitue une menace de contamination pour l'ensemble du corps social. La position raciste est toujours présentée comme une mesure d'hygiène publique, dans la mesure même où elle biologise le corps social. Et le terme de "rejet", utilisé par Foucault, connote bien cet échec de la greffe dont la représentation pathologique est inscrite au cœur de ce qu'André Pichot appelle "le racisme moderne", et qui coïncide avec les devenirs foucaldiens du "bio-politique" :

"Le racisme moderne est calqué sur le modèle de l'eugénisme. Celui-ci se veut une purification de la société de tout ce qu'elle comporte d'individus indésirables et inférieurs du point de vue biologique et psychologique." (10)

Car ce qui caractérise ce "racisme moderne" issu de la pensée du XIXème siècle est bien une volonté de penser sur le mode scientifique la discrimination sociale. Et une telle prétention à la scientificité opère un double passage inaperçu, du descriptif au prescriptif, et du biologique au social. De la description d'un modèle naturel, on passe à la prescription sociale d'une imitation de ce modèle. Prescription volontariste, et par définition culturalisante, qui disqualifie de ce fait sa propre prétention à la naturalité. Mais ce que montre en outre Pichot, c'est que ce modèle biologique lui-même (celui de la "sélection naturelle") est en réalité, dès l'origine, importé du paradigme politique de la guerre sociale issu de la pensée libérale. Le darwinisme social ne serait pas une dérive déviante de la pensée biologique de Darwin, mais au contraire l'inspiration originelle et la matrice de sa théorie. Ce que dénonçait déjà, en 1875, la correspondance d'Engels :

"Toute la doctrine darwiniste de la lutte pour la vie n'est que la transposition pure et simple, du domaine social dans la nature vivante, de la doctrine de Hobbes. (…) Après avoir réalisé ce tour de passe-passe, on retranspose les mêmes théories cette fois de la nature organique dans l'histoire humaine, en prétendant que l'on a fait la preuve de leur validité en tant que lois éternelles de la société humaine." (11)

On aboutit ainsi à une conception radicalement violente et discriminatoire, qui va, non pas selon le schéma hobbesien troubler, mais au contraire constituer l'ordre social moderne et contemporain, instituant l'Etat moderne, selon la formule de Max Weber, en "monopole de la violence politique", et non pas en son éradication.

De la fiction sociale de l'unité du corps politique et de sa pacification, à la réalité constante de la ségrégation, un non-dit s'est ainsi constitué, qui ne cesse de refaire surface, puisque, comme l'écrit André Pichot, montrant l'accession comme experts à l'UNESCO dans les années cinquante d'un certain nombre de chercheurs en pointe de la biologie nazie, "l'eugénisme est sans doute l'un des derniers sujets tabous de l'histoire du XXème siècle".
De ce tabou, font encore les frais ces corps résiduels de la fiction sociale qui ne cessent d'alimenter les flux migratoires noyés ou échoués aux frontières du cordon sanitaire extra-territorial.
Sur le territoire, une immigration bien plus ancienne, qui ne devrait plus même en porter le nom, demeure sur la périphérie, tenue en respect au sens policier du terme par les traces d'une histoire coloniale qui fait peur, non seulement parce qu'elle fait honte à sa surface pacifiée, mais parce qu'elle ne transforme pas nécessairement en innocents les victimes de l'ostracisme raciste.

Notes:
1. La République mise à nu par son immigration, (dir. Nacima Guénif-Soulaimas), ed. La Fabrique, 2006, p.17
2. cité in Sidi-Mohammed Barkat, Le Corps d'exception, ed. Amsterdam, 2005, p.58
3. Sidi Mohammed Barkat, op.cit., p.42
4. Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, ed. Maspéro, 1968, p.8
5. Frantz Fanon, op. cit., p.216
6. Michel Foucault, "Il faut défendre la société", Seuil/Gallimard, 1997, p.16
7. Ibid., p.227
8. Ibid.
9. Ibid., p.228-29
10. André Pichot, La Société pure de Darwin à Hitler, Flammarion, 2000, p.307
11. Lettre d'Engels à Lavrov du 12 novembre 1875 (in Lettres sur le Capital, ed. sociales, 1964). Cité in Pichot, op. cit., p.79

© Christiane Vollaire