Contribution à la pièce de théâtre collective L’Éducation : flagrant délit d’inégalité


Pour les États généraux de l’éducation dans les quartiers populaires. 29-30 novembre 2019
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1. SUR L’ “ABSENTÉISME” ENSEIGNANT

Les absences des enseignants sont la conséquence directe des politiques de l’enseignement. Les restriction budgétaires qui guident ces politiques vont à l’encontre de la transmission des savoirs. Les professeurs sont mis en échec par ce système de sabordage éducatif, qui a mis l’ascenseur social en panne.

L’exercice d’une autorité mesurée, qui crée la confiance et l’écoute, devient impossible dans une classe surchargée. Le métier est alors épuisant pour ceux qui doivent vivre au quotidien le brouhaha de leur salle de cours et l’hostilité de leurs élèves mis ainsi en échec.
Les burn out, les dépressions, l’épuisement, sont le lot de professeurs exposés en première ligne dans une forme larvée de guerre sociale et de discrimination. Et les mêmes restrictions budgétaires produisent un corps de remplaçants, non formés, sous-payés, envoyés comme des voltigeurs d’un poste à l’autre.

Dans les quartiers populaires, la dévalorisation de l’école publique s’aggrave encore d’une situation postcoloniale : les élèves considérés comme « issus de l’immigration », méprisés au quotidian à l’extérieur, en butte au harcèlement policier, pratiquent l’absentéisme comme une manière d’échapper à un ordre social qui ne les reconnaît pas. Ils perdent donc le moyen d’acquérir les outils intellectuels pour contester cet ordre et le changer. C’est bien pourtant par l’école que Frantz Fanon, Abdelmalek Sayad, Saïd Bouamama et bien d’autres ont acquis leur formation intellectuelle. Elle leur a permis de porter une analyse critique sur la société qui les dévalorisait. Et leurs analyses contribuent à modifier le regard social.

2. ZONES D’EDUCATION PRIORITAIRE ET DISCRIMINATION POSITIVE

L’idée des Zones d’Éducation prioritaires est liée au motif de la Discrimination positive. Discrimination positive, c’est une contradiction dans les termes. Discriminer, c’est produire de la division et de l’inégalité. Aucun de ces mots n’est connoté positivement, et ils sont dévalorisants. Comment va-t-on donc les « positiver » ? On produit en surface un semblant d’égalisation, là où demeure en profondeur l’inégalité. On pallie les effets, mais on ne touche pas aux causes, qui demeurent structurelles.

Défendre des mesures palliatives, c’est donc très compliqué : à la fois nécessaire, puisque lorsqu’elles sont menacées, on perd des droits et c’est un recul social, et pervers, puisqu’en les défendant on admet l’inégalité originelle, on risque de la légitimer et on paraît renoncer à la contester.
La défense des acquis liés à la discrimination positive est donc tiraillée entre deux exigences contradictoires :
- promouvoir un droit commun, identique pour tous
- tenter d’améliorer à la marge des conditions produites par l’inégalité.

Au niveau de l’École, une discrimination réelle existe, puisque les quartiers populaires sont beaucoup moins dotés en termes de moyens que les quartiers favorisés. C’est sur cette ségrégation-là qu’il faut mettre l’accent, pour défendre un droit à l’égalité en termes d’éducation.

3. POLITIQUES DU DOUBLE LANGAGE

L’histoire de l’École en France, depuis le XIXème siècle, est construite sur le double langage, C’est une double histoire, issue d’un double héritage :
- celui de la Révolution française, revendiquant d’alphabétiser le peuple et de l’éclairer pour qu’il puisse jouer un rôle politique
- celui de la montée au pouvoir d’une nouvelle bourgeoisie, issue de la contre-révolution.

En 1871, c’est par les Républicains que l’insurrection populaire de la Commune de Paris est noyée dans le sang. Celui qui organise la répression est Jules Ferry, maire de Paris. Mais dix ans plus tard, ministre, il est aussi le fondateur de l’École publique. Jules Ferry veut l’alphabétisation des masses, mais c’est pour les instruire dans le respect des hiérarchies et des inégalités.
Et il est un ardent promoteur de la nouvelle entreprise coloniale française. Le racisme, qui prend sa pleine extension au XIXème siècle, se fonde d’abord sur une volonté économique : prétendre biologiquement inférieurs ceux qu’on veut exploiter.

Toutes ces torsions successives :
- d’une éducation accessible à tous, mais fondant les hiérarchies,
- d’un universalisme des droits de l'homme qui sert de prétexte aux ségrégations,
- d’une abolition de l’esclavage qui donne lieu à de nouveaux modes d’exploitation du travail,
sont au cœur du double langage des politiques de l’éducation.
Défendre l’École publique, c’est donc la défendre contre ses propres inventeurs. C’est retourner, contre leur affichage égalitaire, les effets des textes dont les pouvoir se servent actuellement pour aggraver les inégalités. C’est rendre à l’idée d’égalité son sens réel, à l’encontre des perversions du double langage.