HÉTÉROTOPIES CRÉATRICES OU DESTRUCTRICES


Territoires urbains en mutation. Workshop ENSA Dijon
Mercredi 12 mars 2014

I. La préface de Les Mots et des choses
1. Un éclat de rire
2. Une pensée de la discontinuité
II. Les conférences radiophoniques de 1966
1. Le Corps utopique
2. Les Hétérotopies
III. La conférence de 1967 « Des espaces autres »
1. L’espace comme configuration
2. Emplacement et stockage
3. La défiguration des codes
4. L’ambivalence des stratégies de l’espace

L’année 1966, Michel Foucault publie Les Mots et les choses, où il crée, dans la préface, le concept d’hétérotopie, qui ne figure pas dans l’ouvrage. À la fin de la même année, le 21 décembre, il donne à France-Culture une conférence radiophonique intitulée « Les hétérotopies ». Et l’année suivante, en 1967, il donne une conférence intitulée « Des espaces autres », dont le texte diffère partiellement de celui de la précédente, au Cercle d’études architecturales. Il n’en autorisera la publication que l’année de sa mort, en 1984. Elle paraîtra dans le n° 5 de la revue Architecture, Mouvement, Continuité. Quant au texte de la conférence radiophonique, il ne sera publié qu’en 2009, précédé de celui d’une autre conférence diffusée quinze jours plus tôt sur la même radio, et intitulée « Le corps utopique ». Voilà les seules occurrences qu’on puisse trouver dans son œuvre d’un terme qu’il a créé, et dont il s’est au final peu servi. Mais c’est sur la sollicitation d’architectes, et donc dans le contexte d’un questionnement esthétique et urbanistique, que le terme, originellement créé dans le contexte d’un questionnement sur les rapports entre savoir et pouvoir, va trouver son public.

I. LA PRÉFACE DE LES MOTS ET LES CHOSES

1. Un éclat de rire

La préface des Mots et les choses s’ouvre sur une référence à l’écrivain argentin Jorge-Luis Borges, dans un immense éclat de rire :

Ce livre a son lieu de naissance dans un texte de Borges. Dans le rire qui secoue à sa lecture toutes les familiarités de la pensée, (…) ébranlant toutes les surfaces ordonnées et tous les plans qui assagissent pour nous le foisonnement des êtres, faisant vaciller et inquiétant pour longtemps notre pratique millénaire du Même et de l'Autre.

C’est cet éclat de rire qui vient fracasser l’ordonnancement des certitudes rationnelles. La « pratique millénaire du Même et de l’Autre », ce qui définit le principe de non-contradiction, est au cœur du discours logique. Mais cette hilarité tonitruante est suscitée par un texte dans lequel Borges use des fictions de l’érudition pour inventer une classification des animaux dans « une certaine encyclopédie chinoise ». Le texte est cité par Borges dans Autres Inquisitions, publié en 1952 :

Les animaux se divisent en :
a. appartenant à l’empereur,
b. embaumés,
c. apprivoisés,
d. cochons de lait,
e. sirènes,
f. fabuleux,
g. chiens en liberté,
h. inclus dans la présente classification,
i. qui s’agitent comme des fous,
j. innombrables,
k. dessinés avec un pinceau très fin en poil de chameau,
l. etc.,
m. qui viennent de casser la cruche,
n. qui de loin semblent des mouches.

Et le rire du lecteur naît de la confrontation du ton sérieusement impavide de l’érudition, et du caractère manifestement incohérent, au regard de nos modes de rationalité, des registres de la classification.
Cette brusque dislocation du familier se traduit dans l’ébranlement du rire, et conduit Foucault à poser la question :

Qu’est-il donc impossible de penser ? Et de quelle impossibilité s’agit-il ?

« Hétéros » en grec signifie « autre », « différent ». Et le rire est suscité ici par cet étonnement de la différence, qui « ébranle » les certitudes de nos classifications ordinaires. Les « plans qui assagissent pour nous le foisonnement des êtres », c’est la possibilité d’ordonner, de classifier, de construire, d’architecturer le réel dans l’ordre du tableau synoptique. La classification loufoque proposée par Borges sous le titre d’une « certaine encyclopédie chinoise », vient ébranler les fondements de cette mesure, et provoquer l’éclat violent du rire, parce qu’elle nous met face à l’impuissance de la raison. Et cet éclat de rire, Foucault le jette à la face de toutes les prétentions à la scientificité, de toutes les intentions d’ordonner le monde sans reste, de le réduire intégralement à l’homogénéité.
Toute l’histoire de la pensée occidentale, dont pour Foucault la médecine est un paradigme, tend à vouloir réduire à l’homogène toutes les caractéristiques de l’hétérogénéité qui constitue la réalité du devenir humain. Et c’est ce concept de l’ « hétéros », du dissemblable, de la non-coïncidence, qu’il essaie de développer ici. Cette conviction d’une irruption constante de l’hétérogène en dépit de toutes les tentatives d’homogénéisation, c’est ce qu’il tente d’analyser à travers la notion d’hétérotopie : un lieu de l’altérité radicale ; un espace, de ce fait, impossible à inscrire dans une localisation rationnelle. En ce sens, il va opposer l’utopie, qui définit une absence de lieu pour un fait qui, pour cela même, n’a pas de réalité, à l’hétérotopie, qui définit une présence réelle, dans un lieu qui ne peut pas être intégré dans l’espace commun. Cette présence d’un lieu réel, mais non assumable dans le tissu social, est à ses yeux la source même d’une inquiétude, au sens où Freud définissait « l’inquiétante étrangeté » : ce qui identifie la proximité la plus étroite à l’altérité la plus radicale :

Les utopies consolent (…). Les hétérotopies inquiètent, sans doute parce qu'elles minent secrètement le langage, parce qu'elles empêchent de nommer ceci et cela, parce qu'elles brisent les noms communs ou les enchevêtrent, parce qu'elles ruinent d'avance la syntaxe, et pas seulement celle qui construit les phrases, - celle moins manifeste qui fait tenir ensemble (à côté et en face les uns des autres) les mots et les choses.

Les hétérotopies, régimes de la dissemblance et de l'altérité radicale sont des éléments dont l’antinomie ne conduit pas à une incompatibilité : elles sont antinomiques de l’espace commun, puisque la règle qui les régit n’est pas la même qui régit l’espace ordinaire. Mais elles sont compatibles avec lui, et les deux vont donc coexister dans le paradoxe de leur proximité. C'est précisément de ce trouble d'une compatibilité des antinomies que naît le rire, qui, comme l’écrit Foucault, ruine la syntaxe qui « fait tenir ensemble les mots et les choses ».
Cette ruine de la cohérence et de l’homogénéité fait apparaître les discontinuités, les failles et les seuils : tous les effets de rupture qui interdisent de penser l’histoire dans la continuité chronologique d’un effet de rationalité. Tout ce qui interdit de penser l’histoire à la manière de Hegel, comme la « réalisation du rationnel ».
A la période contemporaine, dans la réalité des mutations urbaines, l’hétérotopie n’a pas seulement valeur esthétique, elle est aussi liée à des processus économiques de déstructuration de l’espace citadin, à des logiques de spéculation immobilière qui en pervertissent l’essence. C’est à interroger cette ambivalence du devenir hétérotopique qu’on voudrait s’atteler ici. Et Foucault montre que cette ambivalence caractérise la modernité tout entière, dans son ancrage occidental :

En essayant de remettre au jour cette profonde dénivellation de la culture occidentale, c’est à notre sol silencieux et naïvement immobile que nous rendons ses ruptures, son instabilité, ses failles ; et c’est lui qui s’inquiète à nouveau sous nos pas.

2. Une pensée de la discontinuité

Le sol qui se dérobe, c’est la perte des fondements d’un savoir homogénéisant, dans l’émergence des figures de l’altérité. De ce point de vue, publié en 1966, Les Mots et les choses établit le lien entre deux ouvrages de Foucault : La Naissance de la clinique, publié en 1963 et L’Archéologie du savoir, publié en 1969. De trois ans en trois ans, s’affirme la scansion de la pensée de Foucault autour d’un point nodal qui est celui de la rupture : qu’est-ce qui fait rupture au sein du savoir ? Qu’est-ce qui permet d’affirmer notre rapport au monde comme fondé sur la discontinuité, sur l’hétérogène, à l’encontre des fictions rassurantes d’une histoire continue et homogène. Cette discontinuité, il l’a mise à l’épreuve dans la Naissance de la clinique par le parallèle entre l’irruption de la maladie comme fracture de la continuité du corps, et les fractures historiques au sein de l’élaboration du savoir médical.
Le texte de la préface de Les Mots et des choses reprend cette idée d’une irruption de l’altérité au sein du regard médical, pour annoncer cette irruption de l’altérité dans la généalogie même de tout savoir, dont le regard médical est un paradigme Notre rapport au monde contemporain nous place face à cette évidence qu’il n’y a pas de savoir homogène, pas de connaissance sans prise en compte de l’altérité, de ce qui, dans tout savoir, est porteur d’incompatibilité :

Et si l'on songe que la maladie est à la fois le désordre, la périlleuse altérité dans le corps humain et jusqu'au cœur de la vie, mais aussi un phénomène de nature qui a ses régularités, ses ressemblances et ses types, - on voit quelle place pourrait avoir une archéologie du regard médical. De l'expérience limite de l'Autre aux formes constitutives du savoir médical, et de celles-ci à l'ordre des choses et à la pensée du Même, ce qui s'offre à l'analyse archéologique, c'est tout le savoir classique, ou plutôt ce seuil qui nous sépare de la pensée classique et constitue notre modernité.

Il y a donc un véritable parallèle entre les discontinuités dans l’ordre du savoir et les discontinuités dans l’ordre du réel : le fragmentaire, le séparé, les dénivellements, les seuils, sont ce à quoi s’affronte sans cesse la volonté scientifique de lisser le réel, d’aplanir les différences. Mais aussi ce à quoi s’affronte la volonté politique de réduire l’altérité aux termes de l’identité. D’où, chez Foucault, le caractère central d’une pensée de la folie comme marqueur de l’impossibilité de réduire les fractures, de résoudre les antinomies, de réduire la pensée à l’homogène :

L'histoire de la folie serait l'histoire de l'Autre, - de ce qui, pour une culture, est à la fois intérieur et étranger, donc à exclure (pour en conjurer le péril intérieur) mais en l'enfermant (pour en réduire l'altérité) ; l'histoire de l'ordre des choses serait l'histoire du Même, - de ce qui pour une culture est à la fois dispersé et apparenté, donc à distinguer par des marques et à recueillir par des identités.

L’existence de la folie est le symptôme de l’impossibilité pour le sujet d’être un, défini par son identité, et pour l’humanité d’être une, définie par son universalité. Ces deux impossibilités, il les a présentées dès 1961 dans sa thèse, Histoire de la folie à l’âge classique, qu’il reprendra en 1972. Et en 1975, publiant Surveiller et punir, il montrera précisément comment ces différences, ces hétérogénéités, ces hors-normes du comportement, non reconnues dans l’ordre du pouvoir, font l’objet d’une entreprise corrélative de contrôle et de sanction, sur le mode disciplinaire de la pénalisation sociale. Dans La Volonté de savoir, en 1976, il créera le concept de biopolitique, pour mettre en évidence la relation du contrôle des corps à l’assujettissement des comportements. Il montre ainsi comment la réalité de l’hétérogène est sans cesse confrontée aux contraintes sociales de l’homogénéisation.
C’est donc à ces dénivellations, à ces failles, d’autant plus intensément présentes qu’elles sont déniées, que la modernité contemporaine nous affronte. Et ces dénivellations, Foucault les inscrit dans le registre des hétérotopies.

II. LES CONFERENCES RADIOPHONIQUES DE 1966

1. Le Corps utopique

En 2009 paraissent deux conférences radiophoniques qui avaient été données à la fin de l’année 1966 : la première sur le corps et la seconde sur les espaces. C’est la coïncidence des deux qui permet de situer l’émergence du concept d’hétérotopie.
La première affirme :

Mon corps, c’est le contraire d’une utopie, ce qui n’est jamais sous un autre ciel, il est le lieu absolu, le petit fragment d’espace avec lequel, au sens strict, je fais corps. Mon corps, topie impitoyable. (…) Tous les matins, même présence, même blessure ; sous mes yeux se dessine l’inévitable image qu’impose le miroir : visage maigre, épaules voûtées, regard myope, plus de cheveux, vraiment pas beau. Et c’est dans cette vilaine coquille de ma tête, dans cette cage que je n’aime pas, qu’il va falloir me montrer et me promener. (…) Mon corps, c’est le lieu sans recours auquel je suis condamné.

Le corps est ici présenté comme un « topos », c'est-à-dire en grec un lieu, un espace habité. Et, de fait, le lieu même du réel : ce que Foucault appelle « le lieu absolu » : s’il y a une réalité à laquelle on n’échappe pas, c’est bien celle de son propre corps. Une réalité qui nous rattrape doublement : en tant qu’elle est éprouvée par nous-mêmes, et en tant qu’elle est perçue par d’autres, et constitue même notre unique interface avec eux. Ce « petit fragment de l’espace avec lequel je fais corps » est aussi le fragment d’espace que les autres identifient à ma présence, la surface par laquelle j’apparais. Pour Foucault, le visage, comme partie la plus visible du corps, est la « vilaine coquille » qui encage le sujet, le masque inséparable de la façon dont on se représente au monde. Le contraire d’une utopie donc, puisqu’il est la visibilité même du réel. Non pas ce qui n’a pas de lieu, mais le lieu qui nous définit comme être. Le lieu qui renferme notre intériorité (la cage), et le lieu par lequel nous percevons l’extérieur :

Ma tête, par exemple, ma tête : quelle étrange caverne ouverte sur le monde extérieur par deux fenêtres, deux ouvertures.

Cette tête comme « caverne ouverte » évoque davantage le crâne de la tête de mort aux orbites vides, que la présence du visage ouvert à la mobilité de l’échange. Et Foucault montre que cette présence de l’unité du corps comme lieu n’est pas liée à la vie du corps, mais à sa mort (ce que signifie, dans la pensée de Platon, l’équivalence « soma – sèma » : le corps est un tombeau) :

Les Grecs d’Homère n’avaient pas de mot pour désigner l’unité du corps. (…) Le mot grec qui veut dire corps n’apparaît chez Homère que pour désigner le cadavre. (…) C’est le cadavre et c’est le miroir qui nous enseignent (…) que le corps occupe un lieu.

Le corps non seulement n’est pas une utopie, mais il est ce par quoi s’inscrit en nous la réalité programmée de la mort, la virtualité de la disparition. Pour Foucault, la réalité du corps est rigidifiante. Elle est cage, coquille, et fermeture sur une sorte de devenir-cadavre qui renvoie à la brutalité de la nature. Le corps utopique, tel qu’il est envisagé par le titre de ce texte, est donc au contraire l’antithèse du corps réel. C’est un corps construit, projeté par son esthétisation dans un espace où, loin de faire cage, il adhère à son environnement dans une relation dynamique. C’est le corps esthétisé du danseur, dont la plasticité se manifeste par une perméabilité à l’extérieur, à l’origine d’une véritable dilatation, et la perméabilité entre extérieur et intérieur est précisément ce qui le définit comme utopique :

Est-ce que le corps du danseur n’est pas justement un corps dilaté selon tout un espace qui lui est intérieur et extérieur à la fois ?

2. Les Hétérotopies

La conférence suivante porte sur la notion d’hétérotopie, énoncée par Foucault dans la préface de Les Mots et des choses, et dont il va ici développer le concept :

On vit, on meurt, on aime dans un espace quadrillé, découpé, bariolé. (…) Il y a les régions de passage (…) ; il y a les régions ouvertes de la halte transitoire (…), et puis il y a les régions fermées du repos et du chez-soi. Or, parmi tous ces lieux qui se distinguent les uns des autres, il y en a qui sont absolument différents. (…) Ces contre-espaces, ces utopies localisées, les enfants les connaissent parfaitement. (…) le fond du jardin, (…), le grenier (…), la tente d’Indiens (…) ou encore le grand lit des parents.

L’hétérotopie, comme lieu de l’altérité, est donc d’abord un espace qui fait exception aux conditions ordinaires de la vie, et Foucault le décrit positivement comme un espace d’exception parce que c’est précisément celui au sein duquel il est possible de faire corps avec l’environnement : l’espace de jeu des enfants, c'est-à-dire non pas d’une espèce inconnue ou d’un âge révolu, mais de nous-mêmes comme enfants, dans le vécu que chacun en a. C’est la possibilité donnée de produire une sorte d’aberration spatiale dans l’ordre ordinaire des lieux, donnant lieu à un autre régime de temporalité : le temps du jeu nécessite l’espace ouvert dans le réel pour qu’il s’y déroule. Foucault décrit donc un certain nombre de « régions », c'est-à-dire d’usages de l’espace, dans l’ordre de la vie « normale » et de son déroulement ordinaire, qui sont en fait liés au mouvement du corps dans l’espace : « passage », « halte transitoire », repos ». C’est la circulation du corps qui définit l’affectation des espaces à telle ou telle fonction.
L’hétérotopie y produit un contre-espace, ou une « utopie localisée », c'est-à-dire précisément le contraire d’une utopie, si l’on considère qu’une utopie n’a pas de lieu. Un contre-espace, c'est-à-dire ce qui se produit à l’encontre de l’organisation générale de l’espace, ce qui fait brèche : le jeu d’enfants ouvre une brèche dans l’ordre spatial socialisé, par la mutation qu’il opère d’un lieu désaffecté (le fond du jardin, le grenier, le lit des parents dans la mesure où ils n’y sont pas) en un lieu réaffecté, c'est-à-dire non seulement occupé, mais émotionnellement chargé, et entièrement redéfini par la charge émotionnelle dont il est investi.
Mais ensuite, Foucault montre que cette modalité hétérotopie, dont il vient de donner des exemples dans la disposition enfantine du jeu, ne fait au final qu’imiter un emodalité adulte de production des contre-espaces. Et les exemples qu’il en donne évoquent singulièrement la liste énumérative de l’encyclopédie chinoise de Borgès, qui a suscité son hilarité dans la préface de Les Mots et des choses :

La société adulte a organisé elle-même, et bien avant les enfants, ses propres contre-espaces, ses utopies situées, ces lieux réels hors de tous les lieux. Par exemple, il y a les jardins, les cimetières, il y a les asiles, il y a les maisons closes, il y a les prisons, il y a les villages du Club Méditerranée, et bien d’autres.

Ce qui apparaissait donc comme la production libératrice des lieux d’une nouvelle inventivité dans le jeu d’enfants, devient une énumération d’espaces sans commune mesure les uns avec les autres. On peut comprendre les jardins comme lieux de réaffectation émotionnelle positive, mais le cimetières y réintroduisent la réalité de mort qui, loin d’être hétérotopique, renvoie au contraire, comme on l’a vu précédemment, à la brutale matérialité du corps-tombeau. On peut comprendre les villages du Club Méditerranée comme une forme de fiction infantile à destination des adultes, mais comment y inclure les prisons, espaces dans lesquels la présence des sujets est radicalement contrainte, et donc par définition désaffectée du jeu hétérotopique. On peut comprendre les maisons closes (dans la mesure du moins où on les envisage exclusivement sous l’angle de leur clientèle) comme des espaces d’exception dédiés au plaisir, mais comment y inclure les asiles, où les sujets sont parqués, et, comme le dira le sociologue Erving Goffman pleinement approuvé par Foucault, « mis en dépôt » ?
Foucault appelle ainsi dans ce texte à une « hétérotopologie », c'est-à-dire une science des hétérotopies ; mais comment prendre au sérieux une telle ambition de scientificité, présentée sous les auspices d’une telle incohérence énumérative ?
Le texte s’achève sur l’hétérotopie par excellence que constituerait le bateau, faisant jouer l’analogie entre le navire et le « grand lit des parents » comme espaces hétérotopiques, dissociés de tout rapport aux conditions ordinaires de la spatialisation :

Le bateau a été pour notre civilisation – et ceci depuis le XVIème siècle au moins – à la fois le plus grand instrument économique et notre plus grande réserve d’imagination. Le navire, c’est l’hétérotopie par excellence. Les civilisations sans bateau sont comme les enfants dont les parents n’auraient pas un grand lit sur lequel on puisse jouer ; leurs rêves alors se tarissent, l’espionnage y remplace l’aventure, et la hideur des polices la beauté ensoleillée des corsaires.

De fait, dans cette énumération déjà, se profile l’ambivalence du concept d’hétérotopie : contre-espace mais non utopie ; ouvert aux constructions de l’imaginaire, mais aussi vecteur de violence et de domination ; critique des espaces normés, mais aussi singulièrement normatif.
C’est l’écoute de cette conférence radiophonique qui pousse l’un des responsables du Cercle d’études architecturales à inviter Foucault, et c’est à l’occasion de cette invitation, le 14 mars 1967, qu’il prononcera le texte « Des espaces autres », dont il n’autorisera la publication que dix-sept ans plus tard. Daniel Defert, son exécuteur testamentaire, écrit à ce propos :

Pour marquer son enthousiasme à l’issue de cette conférence, Robert Auzelle, un des penseurs de la reconstruction de la France à partir des années cinquante, lui remit son histoire de l’architecture funéraire et des cimetières, une des hétérotopies de Foucault. (…) Lui offrir l’histoire de l’intégration des cimetières dans la planification urbaine prouvait la parfaite complicité entre ses auditeurs et le conférencier : la négativité était au cœur de la rationalité.

La précision est troublante : c’est précisément la référence aux cimetières, c'est-à-dire une forme hétérotopique liée à la statique de la mort, qui suscite l’enthousiasme d’un des architectes impliqués dans les politiques de reconstruction après la seconde guerre mondiale.
C’est la lecture de cette seconde conférence, celle de 1967, publiée en 1984 dans la revue Architecture, Mouvement, Continuité, qui permet de le comprendre.

III. LA CONFERENCE DE 1967 « DES ESPACES AUTRES »

1. L’espace comme configuration

Tout ce texte repose sur une opposition de la question de l’espace à la question du temps, comme modèle de représentation. Foucault montre que les modèles de représentation du XIXème siècle étaient temporels, liés intellectuellement à la question de l’histoire, et scientifiquement à la découverte des principes de la thermodynamique (celui de la conservation de l’énergie et celui de la dégradation de l’énergie), qui établissent le principe d’une continuité temporelle. La deuxième moitié du XXème siècle est pour lui au contraire, en particulier à partir de l’influence de la pensée structuraliste, l’émergence d’une pensée du discontinu :

C’est dans le second principe de la thermodynamique que le XIXème siècle a trouvé l’essentiel de ses ressources mythologiques. L’époque actuelle serait peut-être plutôt l’époque de l’espace. Nous sommes à l’époque du simultané, nous sommes à l’époque de la juxtaposition, à l’époque du proche et du lointain, du côte à côte, du dispersé. (…) Le structuralisme (…), c’est l’effort pour établir, entre des éléments qui peuvent avoir été répartis à travers le temps, un ensemble de relations qui les fait apparaître comme juxtaposés, opposés, impliqués l’un par l’autre, bref, qui les fait apparaître comme une sorte de configuration.

Une configuration, c’est une manière de se situer dans l’espace qui n’implique pas de principe d’unification : c’est la coexistence simultanée de plusieurs régimes de présence, sous la forme d’un montage ou d’un collage, plutôt que d’une continuité rationnellement intégrée.
Foucault établit ainsi des seuils de représentation qui marquent les différentes étapes d’une pensée de l’espace :
- un espace de la localisation dans la pensée médiévale, la localisation supposant ce qu’il appelle « un ensemble hiérarchisé de lieux ». Hiérarchisé en particulier par le rapport du sacré au profane, puisque la pensée médiévale est une pensée profondément marquée par le théologique. Les espaces y sont donc séparés, mais non pas dissociés, puisque de fait le principe hiérarchique les ordonne au sein d’une représentation cohérente, la hiérarchie signifiant la sacralisation d’un ordre intégré.
- un espace de l’étendue dans la pensée moderne à partir de Galilée. Pour Descartes par exemple, l’espace est une étendue matérielle offerte au regard de l’intellect humain, qui doit progressivement pouvoir s’en rendre maître à partir d’une continuité des progrès du savoir. L’extension de l’espace et l’extension du savoir se font sur un même modèle, qui supposera à partir de la fin du XVIIIème siècle la continuité d’une pensée de l’histoire. L’espace se pense sur le même mode que le temps, comme unifiant et englobant.
- un espace de l’emplacement dans la pensée contemporaine, qui permet de repérer des coexistences, des juxtapositions, des dispersions, qu’on ne peut penser ni dans l’unification hiérarchique de la localisation, ni dans l’unification continue de l’étendue et de l’historicité. C’est de ce rapport au monde disloqué (au double sens du terme, qu’on le prenne à partir du latin « loquor » qui veut dire parler, ou de l’autre mot latin « locus » qui veut dire le lieu), que participent les hétérotopies : une dissociation des lieux, équivalente d’une dissociation des discours et des régimes de représentation.
Ces emplacements, Foucault les repère aussi dans la façon non plus théologique, ni scientifique, mais fondamentalement technique, de penser le monde :

On sait l’importance des problèmes d’emplacement dans la technique contemporaine : stockage de l’information ou des résultats partiels d’un calcul dans la mémoire d’une machine, circulation d’éléments discrets, à sortie aléatoire (comme tout simplement les automobiles, ou après tout les sons sur une ligne téléphonique), repérage d’éléments, marqués ou codés, à l’intérieur d’un ensemble. (…) D’une manière encore plus concrète, le problème de la place ou de l’emplacement se pose pour les hommes en termes de démographie. (…) C’est aussi le problème de savoir quelles relations de voisinage, quel type de stockage, de circulation, de repérage, de classement des éléments humains doivent être retenus de préférence dans telle ou telle situation pour venir à telle ou telle fin. Nous sommes à une époque où l’espace se donne à nous sous la forme de relations d’emplacements.

2. Emplacement et stockage

Dans ce passage parfaitement révélateur, la notion d’emplacement fait passer le discours du problème du stockage d’information à celui du stockage des êtres humains : un concept gestionnaire des populations identifie la relation aux sujets aux objectivations de la technologie, transformant les corps en marchandises. Et bien sûr, à ce traitement réifiant des sujets peuvent être en particulier intégrés tous les concepts contemporains des politiques migratoires, identifiant les groupes d’hommes à des flux : stockage, circulation, repérage, classement sont bien les modes de traitement réifiés qui réduisent des peuples au statut statistique de populations en transit.
C’est à partir de ce concept technologique contemporain de l’emplacement, qu’il va édifier la notion d’hétérotopie :

Il y a d’abord les utopies. Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu réel. (…) Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements. (…) Je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies.

On est passés d’une hétérotopie libératrice et subversive (celle du jeu d’enfants) à une hétérotopie dessinée dans l’institution même de la société, comme emplacement assigné à de nouvelles formes de stockage, qui n’ont pas leur place dans l’espace commun, et ont pourtant bien leur emplacement institutionnel. Foucault les classifie, dans l’inversion du modèle physique de la thermodynamique, selon six principes :
- celui de leur constante dans toutes les cultures,
- celui de leur variabilité dans le temps au sein de chaque culture,
- celui de leur juxtaposition sur un seul lieu,
- celui de leur jeu avec le temps,
- celui de leur caractère à la fois isolé et pénétrable,
- celui de leur fonction sociale.
Le premier principe lui permet d’établir la distinction entre des «hétérotopies de crise » (mises à l’écart liées à des moments de l’existence (adolescence, accouchement, vieillesse, collège, service militaire, voyage de noces) et des « hétérotopies de déviation » liées à un écart à l’égard de la norme (maisons de repos, cliniques psychiatriques, prisons, maisons de retraite).
Le deuxième principe offre l’exemple du cimetière, et des différents modes de stockage des morts.
Le troisième principe offre des exemples d’espaces de divertissement (théâtre, cinéma, jardins)
Le quatrième principe offre des exemples d’espaces de stockage du temps : musées, bibliothèques, auxquels il adjoint les villages de vacances.
Le cinquième principe s’applique à tous les exemples précédents.
Le sixième principe permet d’analyser l’espace des maisons closes et celui des colonies, comme lieux d’exception dans lesquels s’enclosent des pratiques à l’abri du regard extérieur.
Et le texte se clôt, comme la conférence de l’année précédente, sur l’hétérotopie du bateau.

3. La défiguration des codes

Ce que montre Foucault, c’est que ces espaces d’échappement à la vie publique ne sont cependant pas des espaces de libération, mais au contraire des espaces plus contraints, plus livrés à l’arbitraire des rapports de pouvoir. Il semble que l’altérité n’y soit pas reconnue comme valeur, mais au contraire enfermée, mise à l’écart. Livrée à des formes de contrôle interne qui, si elles sont abstraites de la socialité ordinaires, n’en sont pas pour autant émancipées, mais seulement dissociées.
Roland Barthes, publiant en 1971 Sade, Fourier, Loyola, écrivait :

La meilleure des subversions ne consiste-t-elle pas à défigurer les codes, plutôt qu’à les détruire ?

Les espaces hétérotopiques mentionnés par Foucault, ceux des hétérotopies de crise ou ceux des hétérotopies de déviation (cliniques psychiatriques, prisons, maisons de retraite), ceux du cimetière ou ceux du divertissement ; ceux des musées, des bibliothèques, des maisons closes ou des territoires coloniaux, sont en effet d’une certaine manière des lieux de subversion de la norme sociale. Mais cette subversion même les inclut dans une nouvelle normativité, une nouvelle codification des pratiques, qui produit de fait non pas la disparition des codes sociaux, mais leur reconfiguration, et souvent, par là même, leur rigidification.
L’hétérotopie est donc en quelque sorte la réalisation, dans un espace dissocié, hors-sol du monde environnant, de la fiction d’un ordre interne. Barthes analyse le modèle proposé dans les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, fondateur de la congrégation des Jésuites au XVIIème siècle.
Barthes montre comment le langage crée une véritable topique, un espace d’adhésion des sujets à la norme intérieure qui les assujettit :

La composition de lieu avait derrière elle une double tradition. Tout d’abord une tradition rhétorique. (…) La seconde sophistique avait consacré la description de lieu sous le nom de topographie. (…) Chez Ignace le lieu, pour matériel qu’il soit, a cette fonction logique : il a une force associative, qu’Ignace cherche à exploiter. Ensuite, une tradition chrétienne (…). Ignace a lié l’image à un ordre du discontinu, il a articulé l’imitation, et il a fait ainsi de l’image une unité linguistique, l’élément d’un code.

La « force associative » du lieu peut se prendre en un double sens : d’une part c’est un espace de regroupement, qui permet à des individus différenciés de se constituer comme groupe ; d’autre part c’est un médiateur d’association au sens linguistique du mot : il permet, par contiguïté, d’attacher un terme à un autre, de les faire fonctionner dans une dynamique d’analogie et de proximité. Dans tous les cas, la « force associative » produit l’intégration du sujet dans un devenir collectif. Et ce devenir collectif, ancré dans l’intériorité, est un puissant moteur d’intégration.
Or précisément, c’est de cette puissance intégrative par la construction de l’espace que procède le concept d’hétérotopie tel que Foucault en voit l’illustration dans l’espace colonial institué par les Jésuites du Paraguay :

Je pense aussi à ces extraordinaires colonies de Jésuites qui ont été fondées en Amérique du Sud : colonies merveilleuses, absolument réglées, dans lesquelles la perfection humaine était effectivement accomplie. Les jésuites du Paraguay avaient établi des colonies dans lesquelles l’existence était réglée en chacun de ses points. Le village était réparti selon une disposition rigoureuse autour d’une place rectangulaire au fond de la quelle il y avait l’église.

4. L’ambivalence des stratégies de l’espace

À partir de cette idée d’une « force associative du lieu » dans un ordre du discontinu, s’établit bien un parallèle entre la volonté institutionnelle d’Ignace de Loyola fondant l’ordre des Jésuites par la contrainte idéologique des Exercices spirituels, telle que l’analyse Barthes, et la réalité politique des colonies jésuites du Paraguay, telle que la décrit Foucault comme hétérotopie en 1967. Et un tel parallèle s’avère assez terrifiant.
Georges Perec donne un autre raccourci saisissant de cette problématique de l’espace, en publiant Espèces d’espaces en 1974. Et le chapitre intitulé « L’inhabitable » nous en donne la scansion (dont l’idée sera reprise par Jean-Paul Dollé dans L’inhabitable Capital, publié en 2010 autour de la crise des subprimes aux USA) :

La mer dépotoir, les côtes hérissées de fils de fer barbelés, la terre pelée, la terre charnier, les monceaux de carcasses, les fleuves bourbiers, les villes nauséabondes.
L’architecture du mépris et de la frime, la gloriole médiocre des tours et des buildings, les milliers de cagibis entassés les uns au-dessus des autres, l’esbroufe chiche des sièges sociaux.
Le parqué, l’interdit, l’encagé, le verrouillé, les murs hérissés de tessons de bouteilles, les judas, les blindages.
Les bidonvilles, les villes bidons.
L’hostile, le gris, l’anonyme, le laid, les couloirs du métro, les bains-douches, les hangars, les parkings, les centres de tri, les guichets, les chambres d’hôtel.
Les fabriques, les casernes, les prisons, les asiles, les hospices, les lycées, les cours d’assises, les cours d’école
L’espace parcimonieux de la propriété privée, les greniers aménagés, les superbes garçonnières.

Partant de la mer (support de l’hétérotopie des navires chez Foucault), établissant le parallèle entre la périphérie des bidonvilles et la centralité des villes bidon, identifiant comme Foucault l’enclosure de l’école à celle de l’asile, Perec achève ce chapitre de ‘l’inhabitable » sur la lecture d’un dossier administratif de la bureaucratie militaire nazie, concernant l’aménagement paysager d’un four crématoire en 1943 :

L’aménagement : 39533/43/Kam/J6 novembre 1943
Objet : collecte des plantes destinées à garnir les fours crématoires I et II du camp de concentration d’une bande de verdure.
Ref : Conversation entre le SS-Obersturmbannführer Höss, Cdt du camp et le Sturmbannführer Bishoff.

Le parallèle est saisissant, entre l’objet de ce document administratif, et l’architecture funéraire telle que les architectes de ce moment vital de la reconstruction, voulaient la discuter avec Foucault pour, comme l’écrit Daniel Defert, inclure « l’intégration des cimetières dans la planification urbaine ». Ce rapport à la mort sera ultérieurement fondé dans le concept d’une thanatopolitique, qui pense l’organisation de la vie à partir de la gestion de la mort.
De fait, l’hétérotopie telle que la conçoit Foucault interrogera aussi les géographes, comme « stratégie de l’espace ». Dans un entretien de 1976 avec les fondateurs de la revue Hérodote, revue de géographes engagés qui promeuvent une redéfinition du concept de géopolitique, Foucault élabore une conceptualisation de l’archipel, qui en renvoie la configuration spatiale à la fois à sa spécificité géographique, et à son inscription dans une stratégie politique :

Il n’y a qu’une notion qui soit véritablement géographique, c’est celle d’archipel. Je ne l’ai utilisée qu’une fois, pour désigner, et à cause de Soljenitsyne, l’archipel carcéral, cette dispersion et en même temps le recouvrement universel d’une société par un type de système punitif. (…) On m’a assez reproché ces obsessions spatiales, et elles m’ont en effet obsédé. Mais à travers elles, je crois avoir découvert ce qu’au fond je cherchais : les rapports qu’il peut y avoir entre pouvoir et savoir.

L’archipel comme espace-prison renvoie ainsi, paradoxalement, comme l’hétérotopie du navire, à celle des aéroports, dans les formes contemporain d’une déterritorialisation économiquement imposée.
Le critique d’art Hal Foster le montre pour les aéroports, en citant dans une perspective critique l’ouvrage de Rem Kolhaas Harvard Design School Guide to Shopping :

Les aéroports, pour devenir rentables, ont transformé les voyageurs en consommateurs. Les musées survivent grâce au shopping. En Europe il est vrai, la ville traditionnelle a d’abord tenté d’y résister, avant de devenir le vecteur du consumérisme à l’américaine. Quant à la « grande » architecture, si elle méprise le monde du commerce, elle n’en utilise pas moins les configurations du shopping pour concevoir musées et universités. Et les villes malades se refont une santé en s’inspirant des centres commerciaux.

Quand les lieux qui auraient pu être des espaces d’hétérotopie deviennent de simples enclosures livrées à la circulation marchande, il est clair que ce concept lui-même fait l’objet d’un véritable dévoiement. C’est peut-être alors le moment de se réemparer du concept d’hétérotopie laissé en suspens par Foucault, pour tenter d’y nouer de nouvelles stratégies de l’espace : le subvertir de ses usages aliénants en des formes possiblement émancipatrices.
Mais cela suppose un vrai travail politique, réflexif autant qu’esthétique, sur les risques du concept.

© Christiane Vollaire