Sur le film de Laurent Cantet ENTRE LES MURS


Pratiques n°44 Partie Magazine, janvier 2009

Le film de Laurent Cantet Entre les murs, reconnu par une palme d'or au festival de Cannes 2008, nous ouvre un énorme champ de questionnements politiques, autant par son contenu que par sa réception. Tiré de l'ouvrage de François Bégaudeau relatant son expérience d'enseignant en collège, il est très loin d'en être une simple adaptation. Là en effet où le livre, centré sur le personnage de l'enseignant-narrateur, exposait complaisamment, avec une ironie parfois méprisante, ce vécu tiré vers l'auto-dérision, le film, au contraire, évite le piège narcissique et affiche clairement, par le biais de la fiction, sa position documentaire.
Mais ce qui pose problème est précisément ce qu'il documente. Et ce qu'il documente, c'est une situation d'obstruction totale à la transmission. Une situation dans laquelle l'institution scolaire, lieu vecteur par excellence d'une possibilité d'égalisation des chances par un accès commun au savoir, est devenue au contraire un lieu de reproduction sociale et de discrimination. Vers la fin du film, une élève qu'on n'a quasiment pas entendue, une de celles qui n'ont pas participé au festival de saillies et de réparties qui émaille le scénario, vient trouver le prof en train de ranger ses affaires à la fin du dernier cours de l'année, et lui dit timidement : "Mais moi, Monsieur, je n'ai rien appris cette année". Et elle ajoute : "Je ne veux pas aller en filière professionnelle".
Tout est dit. Et là, on se rend compte que ce à quoi l'on vient d'assister pendant une heure et demie n'est pas la comédie des joutes oratoires, mais la tragédie d'une situation sociale bloquée, où tout est mis en place pour que ce soit en effet vers la filière professionnelle, celle qui donnera accès aux professions les moins valorisées, que soient dirigés ces élèves dont la vivacité et l'intelligence n'ont pas cessé de nous sauter aux oreilles, en même temps que leur ignorance des acquis culturels qu'il faut manipuler pour pouvoir valoriser ce potentiel.
Tout, en effet, dans ce film, paraît mis en place pour que l'institution puisse, en toute impunité et en toute logique, conduire droit à l'échec ceux dont elle a la charge : une administration veule, des enseignants impuissants et perpétuellement culpabilisés, une situation d'incommunicabilité. Entre les murs ne dresse pas seulement des murs autour d'une institution qui n'a plus de prise sur la réalité sociale, mais aussi entre les acteurs de l'institution : une salle des profs où chacun tourne en rond sur lui-même, une salle de cours où jamais ne se produit le déclic d'un éveil. Mais, contrairement à ce qui se passait dans Ressources humaines, le précédent film de Cantet, à aucun moment la critique sociale ne vient animer le constat de déréliction. Le film nous montre, en train de s'auto-détruire, ce qui est devenu, par une forme de partage qui reconduit et véhicule impunément les partages raciaux, l'école post-coloniale de la discrimination. Il ne nous montre pas une autre réalité : celle d'une lutte politique, au quotidien, pour éviter ce naufrage. Un ouvrage, De la Destruction du savoir en temps de paix, paru en 2007, nous donne une analyse serrée de cet enjeu politique de l'éducation.

© Christiane Vollaire